Chapitre 45 - "REHAB"

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Riley

Quelqu'un tambourine à la porte voisine et s'époumone depuis le couloir. À croire que cette femme a oublié que nous sommes dans une résidence, et que le sommeil de chacun mérite d'être respecté.

— Monsieur et madame Elis ? entends-je ensuite.

Je me lève à contrecoeur, le corps engourdi et endolori, puis me dirige vers la porte pour informer l'étrangère que l'appartement est vide pour quelques jours. Todd est parti très tôt ce matin. Un festival à Arcachon, me semble-t-il.

Ma porte grince quand je l'ouvre. La mine encore ensommeillée, j'interpelle mon réveil matin, la voix traînante :

— Bonjour...

— Oh, dit-elle en comprenant que son vacarme m'a dérangée. Je suis navrée. Je pensais que l'appartement voisin était inhabité. Je venais voir Myriam et Robert.

Plusieurs reniflements me parviennent, et je la coupe alors qu'elle reprenait :

— Il n'y a pas de mal. Mais les parents de Todd ne vivent plus ici.

— Zut, c'est donc lui s'est installé, tique-t-elle. Je dois à tout prix éviter de le croiser. Savez-vous où je peux trouver Myriam et Robert ?

Le cliquetis de ses talons résonne dans le couloir lorsqu'elle me rejoint devant la porte, son odeur de vanille embaume mes narines, ses cheveux frôlent mes mains.

— J'ai des excuses à leur présenter et une grosse somme d'argent à leur rendre, m'indique-t-elle.

Prête à lui fournir l'adresse de mes ex-faux-beaux-parents, je me ravise illico, frappée par une réalité qui me semble plus que probable. Sans le savoir, elle vient de me donner suffisamment d'informations pour comprendre qui elle est. Je préfère néanmoins ne pas porter de jugement hâtif. Mon palpitant caracole, ma gorge subit une vague de sécheresse. Mais c'est elle, j'en suis certaine.

— Comment avez-vous dit que vous vous appeliez ?

— Je ne l'ai pas dit. Clémence, enchantée.

Une mauvaise nausée me gagne, suivie de près par l'envie de fuir, de claquer la porte au nez de cette nana. Le passé de Todd n'est pas le mien mais elle lui a brisé le cœur sans états d'âme, en ruinant et piétinant allégrement sa confiance en lui ; en l'autre. Je reprends mes esprits, tente de paraître calme malgré la goutte de sueur qui perle dans ma nuque. Je dois répondre rapidement pour qu'elle s'évanouisse dans la nature. Le plus vite possible, loin d'ici.

— Myriam et Robert Elis vivent en Savoie. Je pense que vous connaissez l'adresse, laché-je d'un ton plus sec que je ne l'aurais voulu.

« Riley chaton, c'est Todd. Décroche vite sinon je te préviens, tu vas reçevoir une sacrée fessée à mon retour sur Paris. Riley chaton, c'est ... ».

OH BORDEL !

J'extirpe maladroitement mon téléphone de la poche de mon sweat-shirt à capuche, enfilé à la va-vite pour ne pas ouvrir en nuisette, triture rapidement les touches pour éteindre cette sonnerie, spécialement concoctée par mon voisin, puis lâche un sourire dans le vide.

— Bon courage ! m'empressé-je d'ajouter.

Je pousse la poignée pour fermer la porte, mais quelque chose fait barrage et empêche la manœuvre. J'insiste, grogne, entends un petit couinement, puis comprends que Clémence a placé son pied dans l'embouchure. C'est elle que je maltraite à force d'insister. Je lâche prise, souffle un « Quoi encore ? » agacé.

— Tu es la petite amie de Todd ? s'enquiert-elle, la voix rendue suraiguë par sa surprise.

Mon cœur s'emballe. Pour être honnête, je ne me suis pas vraiment posé cette question. Ces derniers jours, j'ai simplement profité de la chaleur de ses bras, de ses caresses, de ses murmures au creux de ma nuque, des ses baisers sur mon corps parsemé de chair de poule. À aucun moment je me suis demandé où tout ça allait nous mener : ce que je suis pour lui.

Aucun de nous n'avons prononcé les mots qui font valser le palpitant et tourner la tête. Aucun de nous n'a parlé de l'après.

Machinalement, je triture la bague que j'ai gardée à mon annulaire. L'habitude fait que je l'ai oubliée, Todd ne s'en est jamais plaint. Cet anneau ne représente qu'une farce, un plan monté de toute pièce, rien n'est vrai sauf peut-être ce que je... ce que je...

Ce que je ressens pour lui.

Merde, non...

— Pas vraiment. Enfin, je ne sais pas trop, bégayé-je comme si j'avais à me justifier auprès d'elle.

— Ca sent l'amour à plein nez, s'esclaffe méchamment l'ex de mon amant. C'est cool, tu es mignonne. Il t'a parlé de moi, n'est-ce pas ?

Je mords ma lèvre inférieure : tique nerveux. Elle réagit sans me laisser l'occasion de répondre.

— Vu ta réaction, j'imagine que oui. Écoute, Riley heu..., c'est ça ? Todd ne m'a jamais permis de m'expliquer, tu vois. Ce qu'il s'est...

— Rien de peut justifier ce que tu lui as fait, cinglé-je sèchement, la cage thoracique comprimée.

— Il ne connaît pas mon histoire, et toi non plus. Tu aurais agi de la même manière si tu avais été dans ma situation.

Elle renifle de nouveau, je décèle une tristesse, un trémolo dans sa voix et une respiration saccadée : Clémence pleure. Puis elle change soudain d'attitude.

— Je peux emprunter tes toilettes ?

— Deuxième porte à gauche, m'entends-je lui répondre.

Elle me frôle et pénètre dans ma maison pendant que je me demande ce qu'il se passe.

— Oh c'est très cosy ici ! s'émerveille-t-elle.

En pilote automatique, je me dirige dans ma cuisine, place mes mains de part et d'autre de la cafetière, tapote pour trouver une dosette, allume l'appareil et me fais couler un café. Je déteste toujours cette boisson, mais j'ai besoin de boire quelque chose de fort qui ne contient pas d'alcool.

— En fait, poursuit Clémence depuis les toilettes, j'étais une junkie.

Elle urine et se livre à cœur ouvert à l'inconnue qui l'a autorisée à utiliser ses toilettes. J'ai sérieusement envie de lui balancer que son histoire ne me regarde pas, mais je la laisse terminer. Ensuite; je la chasserai comme il se doit.

— [...] on m'a retiré la garde de ma fille. Tu sais, son père était violent avec moi. Il me droguait de force et quand il s'est enfin fait arrêter, il était trop tard pour moi. J'ai dépensé beaucoup d'argent dans cette merde. Je me suis endettée, j'ai emprunté aux mauvaises personnes...

Clémence enchaîne, pleure, lâche prise comme si cette histoire avait besoin d'être dévoilée pour qu'elle puisse guérir. Je l'écoute attentivement, jauge sa sincérité, souffre à sa place en imaginant ce qu'elle a pu vivre : un enfer.

— [...] Quand monsieur Elis m'a trouvée, j'avais entamée une cure de désintox. Je voulais absolument m'en sortir mais la grosse somme d'argent que je devais à mes usuriers m'empêchait de reprendre vie. J'avais honte, mais j'ai accepté le deal. En réalité, j'avais en tête d'épouser son fils. Refonder une famille. Todd est un très bel homme, mais...

— Mais tu es tombée amoureuse de sa sœur, soufflé-je, à quelques mètres d'elle.

Elle tire la chasse d'eau, j'entends aux frottements du tissu qu'elle se rhabille, siffle en même temps la mélodie de rehab d'Amy Winehouse.

They tried to make me go to Rehab.
But I said no, no, no. Yes I've been black, but when I come back.
You'll know, know, know

Sous Le Sapin ? Une Fausse Fiancée! - [ &H Edition ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant