— Tu te fous de moi ?
C'est dans ce genre de moments où je suis presque content de ne rien voir. Presque. Je suis dans le bureau de mon éditrice et d'après le ton qu'elle a utilisé, elle est prête à me sauter à la gorge pour m'étriper. Je pense que la bonne réaction à avoir est de ne surtout pas sourire.
— Depuis notre dernier rendez-vous il y a un mois, tu as écrit deux pauvres pages ? Même pas un chapitre entier ?
— C'est exact.
— Au risque de me répéter, tu te fous de moi, Yahiko ?
— Je te l'ai dit. Je suis en panne complète d'inspiration. Tout ce que j'écris est mauvais. Les gens attendent ce tome avec impatience et il m'a été beaucoup réclamé. Je ne dois pas le rater. Et pour l'instant, c'est un peu le cas.
— Rassure-moi, tu n'as pas oublié ce léger détail qui s'appelle une deadline ? Ça fait un an et demi que tes lecteurs et lectrices patientent. Si on passe aux deux ans, ça risque de nous retomber dessus et ton tome fera un gros four.
— Je sais. Mais je suis incapable d'écrire. J'ai beau tester toutes les techniques possibles, rien ne fonctionne. Je t'avoue que je place désormais beaucoup d'espoir dans ce voyage à Oxford.
— Il y a carrément intérêt. Je me suis battue bec et ongles avec les patrons pour que tu puisses y aller sans te taper la tournée de toutes les grandes librairies d'Angleterre. D'ailleurs, tu m'expliqueras un jour pourquoi avoir choisi Oxford ? Tu as tenté la fac là-haut et tu n'as pas été pris, alors tu te venges ?
Je souris tout doucement. Je redoutais cette question. Et je suis presque certain que Shanti peut lire sur mon visage comme dans un de mes livres ouverts.
— Qui vas-tu voir ? Qui est la personne qui te donne cet air béa et franchement niais ?
— Je t'interdis de m'appeler ainsi. Je ne suis pas niais.
— Tu ne te vois pas. Moi, si. Crache le morceau, Yahiko.
Je commence à jouer avec mes mains, comme à chaque fois que je suis nerveux. Je devine déjà sa réaction, la même que celle de ma mère, quand je lui ai annoncé que j'avais demandé à faire une séance de dédicace là-haut.
— Mon ex-petit ami fait sa thèse à Oxford. De plus, d'après les statistiques que tu daignes m'envoyer une fois par an, je marche plutôt bien dans cette ville.
— Je te préviens, si tu reviens avec le cœur en miettes et dans un état pire que celui dans lequel tu te trouves, je t'emmène dans les terres et je te force à écrire huit heures par jour pour rattraper ton retard. Compris ?
— Hyppolyte est une immense source d'inspiration. La majeure partie des scènes romantiques du Cycle de Saphir proviennent de lui ou de mes souvenirs. Croiser à nouveau sa route me fera le plus grand bien.
— Parce que tu es sûr qu'il sera là ? Tu m'as dit que c'est un thésard. Il n'aura sans doute pas le temps.
J'avale ma salive avec difficulté. J'en ai parfaitement conscience. C'est d'ailleurs pour cette raison que ma mère ne souhaitait pas que je parte. Elle m'a fait toute une leçon sur le fait que je n'avais aucune habitude dans cette ville, que je ne connaissais strictement rien et que je ne pouvais pas demander à un taxi de me déposer à Oxford, marcher sans but et arriver comme par enchantement dans le département d'astrophysique. D'après elle, c'est « rêver les yeux grands ouverts ». Le jeu de mots n'était pas du tout drôle.
— Je lui enverrais un mail.
— Un mail ? Il en a sûrement une cinquantaine par jours. Tu vas être noyé dans la masse.
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Ciel de constellations [BxB]
RomanceHyppolyte est en passe de devenir docteur en astrophysique. Étudiant à l'université d'Oxford depuis plus de neuf ans, il ne sait que faire de sa vie une fois le titre obtenu. Du fond de son bureau, entouré de livres et de théories invérifiables, il...