Lyre

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Ce que je fais est affreusement risqué, mais je m'en moque. Je suis allongé dans le lit de mon copain, attendant qu'il me rejoigne après s'être douché, et je lis un mail de mon ex. Mail qui rougit ma peau par son contenu. Mail qui accélère les battements de mon cœur, mais pas de la meilleure des façons. Mail qui réveille mon esprit au pire moment de la journée.

J'aurais dû lui dire. J'aurais dû lui dire que la promesse de bosser sur la Chose n'a pas été faite à moi-même, mais à mon copain. Le message serait passé et peut-être qu'il ne m'aurait pas répondu ainsi, en me draguant comme jamais. Mais je n'arrivais pas à m'y résoudre. Parce que j'adore ça et que je n'y suis pas insensible.

La petite voix dans ma tête me hurle que ce n'est pas bien, que je suis clairement en train de jouer avec le feu, mais je l'ignore avec style. Pire, j'écoute même mon autre côté, celui qui pointe les défauts de Declan depuis quelques jours. Ce côté qui est alimenté par Ugo, par ma sœur et sa copine. C'est horrible. La moindre chose m'énerve.

Par exemple, tout à l'heure, au moment du repas. C'est toujours moi qui m'y colle parce que j'adore faire la cuisine et que c'est une forme d'art pour moi. Je pense même que j'ai séduit Declan avec mes petits plats et ma pâtisserie française — il faut bien que j'honore le pays où je suis né. Mais ce soir, il a globalement tout critiqué. Le poisson était trop fade, le blé trop gras et ma mousse au chocolat trop chocolatée. J'ai failli m'étrangler avec mon eau, parce que c'est lui qui me l'a réclamée à cor et à cri pendant toute la semaine, sous prétexte qu'il l'adore.

Il a ensuite carrément conclu que j'avais perdu mon temps et nous aurions dû commander à emporter dans un restaurant. J'ai manqué de lui balancer le pichet en pleine face. En vengeance, je fais la grève ce soir. Il rêve pour me toucher, pas après son comportement exécrable. Je suis même certain qu'il va encore commenter mon occupation, se plaignant que je ne suis pas en train d'analyser un article scientifique.

— Tu te détends ?

Gagné. Je devrais faire un bingo. En réalité, je me demande pourquoi il tient tellement à fêter nos trois ans ensemble. Il passe son temps à me faire des critiques parce que je ne suis pas vingt heures sur vingt-quatre sur ma thèse. Si lui l'avait écrite, il serait déjà docteur, j'en suis certain.

— Oui. J'ai taffé toute la journée. D'abord avec les licences et après avec la Chose. J'ai le cerveau en ébullition.

— Et du coup, tu fais quoi ?

— Je lis.

C'est vrai. Ce n'est juste pas un roman, même si c'est écrit par un auteur. Je pouffe intérieurement.

— Encore tes Chroniques du Caillou ?

— Je t'ai demandé d'arrêter de les appeler comme ça. Il y a bien des livres que t'as adorés et que je déteste, mais je le garde pour moi parce que je respecte tes goûts. J'ai vingt-sept ans, tu ne vas pas dicter ma vie. Donc tu me laisses tranquille, s'il te plaît.

Il arrête de se frotter les cheveux, un air surpris sur le visage. C'est vrai que j'ai sorti les crocs, mais c'est toute ma frustration de la journée qui ressort. J'ai fait cours à une bande de petits merdeux qui me manquent de respect, ma thèse devrait s'écrire toute seule et j'ai eu une cascade de critiques inutiles sur mon dîner. Je ne suis pas un paillasson.

— Wow. T'as mangé quoi ce soir ?

— Un repas dégueulasse, apparemment.

J'enfonce le clou. Si je n'habitais pas aussi loin de l'appartement de Declan, je pense que je serais déjà reparti chez moi. Ou chez ma sœur, pour passer la soirée à serpenter sur son dos en mangeant des chips. Ou même à Belfast.

Ciel de constellations [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant