Quand j'étais adolescent, ma mère m'a donné un surnom, autre que le Yaya-chan dont elle m'avait affublé lorsque je n'étais qu'un enfant.
La machine.
Sur le coup, je n'avais pas compris pourquoi. Je l'avais même pris pour une insulte, parce que je ne laissais pas souvent sortir mes sentiments — comme un robot — et que mes sourires étaient clairement effrayants. Jusqu'à ce qu'elle m'explique vraiment.
J'ai toujours été très efficace quand je me mets à faire une tache. Lorsque j'étais encore voyant, j'aidais ma mère à la pâtisserie, pour garnir les choux à la crème ou remplir les macarons. J'allais vite et tout était parfait. Pour mes devoirs, c'était la même chose, tout comme mes examens, à la grande surprise de mes professeurs qui me voyaient sortir bien plus tôt que mes camarades. J'étais très bien classé à la fin de l'année, mais malheureusement, on ne retenait que les deux premiers, particulièrement populaire dans l'école.
Ma petite particularité s'est également illustrée dans mon écriture. Une fois que je suis pris dans ma propre histoire, que je sais exactement ce qui va se passer, je me transforme en machine. J'écris sans m'arrêter, des heures durant — ma mère m'a même dit un jour que les points de ma plage braille étaient imprimés sur mes doigts. Je suis passionné par ce que je fais.
C'est ce qui se passe en ce moment avec le Cycle d'Émeraude. Quand j'étais à la gare, après avoir fini mon mail pour Hyppolyte, j'ai rédigé tout le plan. Je me suis ensuite concentré sur chaque chapitre une fois rentré à la maison, et la nuit m'a permis de me pencher sur les personnages et les antagonistes. Le lendemain, après un court repos et une gigantesque tasse de thé au jasmin, j'ai fini le synopsis commencé à trois heures du matin. Et enfin, alors que je savais que j'avais rendez-vous avec Shanti deux jours plus tard pour mon point écriture hebdomadaire — c'est elle qui insiste, pour me surveiller — j'ai écrit le plus de chapitres possible. Ma mère était estomaquée de me voir sur mon ordinateur, soit à dicter, soit à taper. Quand je lui ai donné le nombre de mots déjà posé sur le papier, elle s'est arrêtée de découper le dîner du soir tant elle était surprise.
Je sais que Shanti, malgré mon avancement fulgurant, ne va pas être contente. Nous faisons de la pub pour le Cycle d'Ambre depuis des semaines et me voilà à le laisser complètement de côté pour commencer quelque chose d'autre. J'aurais beau lui raconter que je suis inspiré, que mon histoire renaissante avec Hyppolyte est un moteur — scénaristique, mais également vis-à-vis de ma vitesse d'écriture — et que Adilia et Gilia apparaissent dans l'Émeraude, ce n'est pas ce qu'elle attend. Ce n'est pas ce que les lecteurs espèrent.
Sauf que les gens sont des horreurs parfois. Entre les commentaires qui disent que je ne suis plus aussi bon qu'avant et les autres qui sous-entendent que parce que je suis un homme, je ne devrais pas mettre en avant des femmes sous peine d'être affublé d'un nom affreux, ça ne m'aide pas. Oui, je pourrais écrire pour moi, ne pas penser à tout cela et me concentrer sur les personnages et mon inspiration. Mais il faut être réaliste : je suis une personne publique, tout comme mes livres. Je suis tombé amoureux de l'écriture parce que je ne pouvais pas m'empêcher d'observer le monde et pour combler ma solitude. Au moment où Hyppolyte est rentré dans ma vie, c'était pour expliquer tout ce que je ressentais quand il était à côté de moi, chaque sensation qu'il me procurait. Ça a encore évolué lorsqu'il m'a lu pour la première fois et qu'il m'a demandé quel était mon rêve. Je lui ai dit que c'était de gagner de l'argent en tant qu'écrivain, et il m'a encouragé à le poursuivre. Là, j'ai écrit dans ce but. J'ai abandonné mes textes poétiques sur les étoiles ou ma Nébuleuse, et j'ai commencé un véritable roman. J'ai imaginé mon monde, mon univers, avec ses particularités, sa magie, son bestiaire. Je l'ai fait pour la fierté de mon petit ami, et pour la mienne. Et enfin, quand mon rêve s'est réalisé et que j'ai eu mon succès avec les Chroniques de Cristal, j'ai écrit pour les gens. Pour ceux qui se retrouvaient dans mes personnages, qui pleuraient à cause de mes histoires, qui se découvraient aussi. Pour toutes les âmes perdues comme moi qui avaient besoin d'un lieu où se sentir bien et soi.
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Ciel de constellations [BxB]
RomanceHyppolyte est en passe de devenir docteur en astrophysique. Étudiant à l'université d'Oxford depuis plus de neuf ans, il ne sait que faire de sa vie une fois le titre obtenu. Du fond de son bureau, entouré de livres et de théories invérifiables, il...