Ciel de constellations [BxB]

Sixième corrélation

De : hyppolyte.obrien@gmail.com

A : hyacinthe.leroux@gmail.com

Objet : Ça fait longtemps

J'ai découvert avec horreur que je ne t'avais pas écrit depuis des mois. Je fais un piètre ami, et je m'en excuse bien platement. De plus, je préfère le préciser pour éviter que tu ne te prennes la tête : le but de ce mail est de me rappeler de bons souvenirs avec mon meilleur ami, rien de plus. Je n'évoquerais pas la période où nous avons été en couple, et ce n'est pas une tentative pour reprendre ce genre de relation avec toi.

Aujourd'hui, j'ai eu rendez-vous avec mon directeur de thèse. Il m'a demandé pourquoi je n'avançais pas, pourquoi je ne parvenais pas à retrouver mon feu intérieur qui me caractérisait lorsque j'étais encore un tout jeune étudiant. Alors, j'ai pensé à toi. J'ai pensé à notre enfance, à ce que nous avons vécu ensemble en regardant les étoiles. J'ai pensé à tout ce que je ressentais quand je posais mes yeux sur elles, et que je m'interrogeais sur leur fonctionnement, sur leur création.

Je ne sais plus ce que c'est. Ce feu, cette passion. J'ai tout perdu quand mon rêve est devenu quelque chose d'impossible à attraper et réaliser. Pendant des années, j'ai envoyé des candidatures pour être astronaute et pendant des années, on m'a dit non. Je me souviens que toi, ce n'est pas ton rêve. Que toi, tu l'as réalisé en travaillant dans le plus grand collisionneur de particules d'Europe. Et je suis fier de toi. Vraiment.

Parler avec toi, ça peut me permettre de retrouver ce que j'ai oublié. Ce que, j'espère, tu as toujours en toi. Pourquoi je fais ça. Pourquoi les étoiles m'intéressaient tant, au point de me lancer dans des études beaucoup trop longues et de quitter Belfast et ce qu'elle contient. Peut-être que ton mail me permettra de répondre à toutes ces questions. Ou au moins, j'aurais eu de tes nouvelles.

Comment te portes-tu depuis le temps ? Es-tu heureux ? As-tu quelqu'un dans ta vie ? (Si c'est trop intime, ne me dis rien). Comme toujours, j'espère que tu vas bien. Tu le mérites tellement.

Merci d'avance pour ta réponse et désolé du dérangement,

Hyppolyte

De : hyacinthe.leroux@gmail.com

A : hyppolyte.obrien@gmail.com

Re : Ça fait longtemps

Cher Hyppolyte,

Je suis très heureux d'avoir de tes nouvelles. Tu me manques beaucoup ici, et j'ai vraiment du mal à me faire de nouveaux amis. Personne ne me comprend et on me rejette parce que j'agis différemment ou que mon humour n'est pas le même que le leur. Je travaille donc beaucoup pour compenser ce manque d'interactions sociales. Quant à trouver une petite amie ou un petit ami, j'y arrive encore moins. J'en ai envie, mais je ne suis pas assez beau ou plaisant. Si je parviens à décrocher un rendez-vous, la personne s'enfuit. Les gens de Belfast étaient bien plus gentils avec moi.

Tu as bien fait de m'envoyer un mail. Je te comprends. J'ai traversé ce genre de chose et quand je l'ai fait, j'ai eu peur de te déranger. J'aurais dû m'écouter. Je n'aurais pas été aussi seul que je l'étais.

Quand on passe trop de temps à étudier ce qui nous passionnait lorsqu'on était jeunes, on finit par transformer cette passion en travail, et on y perd le goût. C'est très triste, parce qu'on ne peut plus regarder le ciel ou des images sur internet sans penser à son activité professionnelle, à l'analyse, aux composants.

Pour moi, il faut prendre du recul. Il faut s'éloigner. Si tu le peux, va-t'en loin de tout ce qui touche ton travail. N'ouvre plus ta thèse. Et cours dans un planétarium pour regarder les nébuleuses. Je sais qu'elles sont tes amies, ce qui fait battre ton cœur. Rien ni personne n'a jamais réussi à t'éloigner de ces explosions de couleur. Alors, toi, retrouve-les. De la manière que tu le souhaites, bien entendu, mais je suis sûr que tu vas y arriver. Moi, j'ai cherché les étoiles et j'ai pleuré. Toi, retrouve les nébuleuses.

J'espère également que tu vas bien. Moi aussi, je regrette d'être parti de Belfast. J'aimerais déplacer mon travail dans cette ville, mais malheureusement, c'est impossible. Si tu as le temps, viens me voir en Suisse. N'oublie pas ton bonnet et ton écharpe. Il fait froid.

Hyacinthe