— Mathis ?
— Mmmh ?
— Comment tu as su que tu étais... que tu n'aimais que les garçons ?
Ils étaient blottis l'un contre l'autre dans le canapé, un plaid sur les jambes du blond frileux. Ce dernier releva la tête, qu'il avait nichée au creux de l'épaule de l'étudiant, et le regarda, sans pour autant cesser les caresses machinales sur l'avant-bras de ce dernier. Le film venait de se terminer, et ils étaient trop confortablement installés pour qu'aucun des deux n'ait envie de tendre le bras vers la télécommande pour éteindre la télévision, aussi le générique se déroulait-il sans fin. Depuis quelques semaines, la tante d'Eliott avait décrété qu'il devait se rendre à toutes les soirées organisées par sa promo et qu'il ne devait rentrer qu'au lendemain, après ses cours, qu'elle pouvait très bien gérer une nuit et une journée seule une fois tous les quinze jours afin que son neveu « profite de la vie » et « rencontre un peu des filles ».
Eliott laissait parfois Jules le convaincre d'aller effectivement aux soirées de ses camarades de promo, et il arrivait à présent à échanger quelques mots avec l'une ou l'autre des étudiantes avec lesquelles Jules avait sympathisé. La plupart du temps cependant il déclinait au profit d'une soirée blotti dans le canapé de Mathis, avec des croissants et du thé à portée de main et un bon film sur l'écran. Chaque fois, il dormait dans le lit du boulanger, chacun sous sa couette mais jamais loin l'un de l'autre.
Le film du jour n'avait absolument aucun rapport avec la question que venait de poser Eliott, et Mathis se demandait ce qui avait conduit à ce genre d'interrogation, mais entreprit d'y répondre sans chercher à en savoir plus. Dans une premier temps.
— Je l'ai toujours su, je crois. Je n'ai jamais désiré de femme, je n'ai jamais eu de sentiment pour une femme ou une fille à l'école par exemple. Mon regard a toujours été tourné vers le corps des garçons de mon âge. Mais j'avais la chance de vivre dans une famille où cela ne pose pas de problème. Mes parents ont de nombreux amis queer. Je n'ai jamais eu à vraiment sortir du placard. Un jour j'ai dit que j'avais un rencard, on m'a demandé « comment elle s'appelle ? » j'ai répondu « Lucas » et voilà, c'est tout.
Un ange passa, puis Eliott poussa un profond soupir avant que de se recroqueviller un peu plus dans l'étreinte de Mathis. Quelques instants de silence plus tard, un murmure s'éleva contre sa poitrine :
— Chez moi, ça serait pas la même chose...
Le blond prit le temps de réfléchir, retenant la question spontanée qui voulait sortir pour la reformuler, la rendre plus douce, et plus rassurante aussi.
— Parce que tu... t'interroge sur toi ?
Eliott ne répondit pas pendant un long moment. Mathis ne l'interrompit pas dans ses réflexions. Il le garda contre lui, caressant sans cesse la peau nue de son bras du bout des doigts.
Finalement, l'étudiant reprit la parole, le nez toujours enfoui dans la poitrine du boulanger :
— Ce qu'on a, toi et moi... ce n'est pas une relation normale, n'est-ce pas ? Amicalement parlant, je veux dire...
Mathis sourit, et planta un baiser dans les boucles brunes avant de répondre :
— Pas selon les standards de la masculinité en vogue actuellement, non... » il se redressa un peu, se calant plus confortablement dans le moelleux du canapé, et reprit : « mais a-t-on vraiment besoin de le définir ?
— Oui. Enfin je crois. Je sais pas. Peut-être. Raaah j'en sais rien Mathis ! Je suis... J'en sais rien et ça me bouffe !
Eliott s'était redressé, et avait plongé les deux mains dans ses boucles brunes, y refermant les poings.
— Ok. Ok, Eliott.
Le boulanger referma les doigts sur les poignets maigres du brun et lui fit délicatement lâcher prise en murmurant, d'une voix qui se voulait rassurante.
— Alors essaie de répondre à ça : as-tu déjà éprouvé de l'attirance physique pour une femme ? As-tu déjà été amoureux d'une femme ?
— Non, et non plus. Mais jamais, pour personne. J'ai jamais eu le temps pour ça, tu sais bien !
Mathis savait, oui. Au fil des semaines, Eliott lui avait raconté, un peu, par bribes, son histoire familiale, et le blond pouvait s'enorgueillir d'être le seul parmi les connaissances d'Eliott à savoir que l'étudiant ne vivait que dans le but de devenir médecin urgentiste afin d'éviter à d'autres ouvriers la vie à laquelle était condamné son père.
— Et maintenant ?
Eliott détourna le regard, mais Mathis saisit délicatement son menton pour lui relever le visage et plonger ses yeux dans les siens.
— Et maintenant ? demanda-t-il à nouveau. Aucune fille de ta promo ? Tu m'as dit que tu avais sympathisé avec des filles grâce à Jules. Aucune d'elle ne t'attire ?
— Non.
Le garçon gardait les yeux baissés, cherchant à tout prix à éviter le regard du blond, qui insista :
— Et des hommes ?
— N... non... » il prit une inspiration, comme s'il cherchait à affermir sa volonté, et ajouta dans un souffle : « À part toi, personne... »
Mathis s'empourpra et sourit en même temps, aussi ravi que gêné. Du pouce, il caressa la pommette du brun, qui semblait sur le point de fondre en larmes. Il se pencha vers lui, jusqu'à être front contre front, et chuchota, ses yeux noisette rivés dans les ceux, sombres, de l'étudiant :
— Veux-tu un baiser ? Pour... vérifier ?
Eliott hocha la tête, presque imperceptiblement.
Alors, lentement, Mathis posa ses lèvres pleines sur celles, sèches, du jeune homme. Elles se murent lentement, et d'instinct celles d'Eliott répondaient à celles du blond. Lorsqu'il osa un coup de langue sur elles, elles s'entrouvrirent et laissèrent le passage à la langue de l'étudiant, venant s'entrelacer à celles du boulanger, dont elle mimait chaque mouvement.
D'abord figé, Eliott finit par enrouler ses bras autour du cou du blond et il se lova souplement contre lui. Ce n'est que lorsqu'ils furent à bout de souffle qu'ils se séparèrent. À peine. Toujours front contre front, toujours blottis l'un contre l'autre, c'est Mathis qui prit la parole en premier, dans un souffle :
— Alors ?
Une longue plainte lui répondit.
— Je sais paaaaas... » Eliott se mordit la lèvre inférieure, et Mathis dût réprimer l'envie de l'embrasser encore. « Ça avait l'air tellement... tellement... je sais pas, normal ?
Mathis planta un baiser sur son front, puis sur sa tempe, avant de nicher son visage dans le creux de l'épaule osseuse de l'étudiant.
— Est-ce que tu as ta réponse ? Ça te suffit ?
— Je... crois ? Je crois. Oui. Oui, cela suffit.
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Appartenir
Romanceappartenir : (bas latin appartinere, être attenant, de pertinere, se rapporter à) 1. Être la propriété de quelqu'un, son bien, soit de fait, soit de droit. 2. Être à la disposition de quelqu'un, dépendre de lui, se prêter à une quelconque a...