— Qu'est-ce qu'on fait, maintenant ?
Il était tard et après de longs moments blottis l'un contre l'autre et quelques baisers de plus, ils avaient fini par éteindre la télévision et se préparer à aller se coucher. Chacun sous sa couette. Eliott était adossé à l'oreiller et entourait ses genoux de ses bras. Il avait posé son menton sur son genou gauche et tourné le visage vers Mathis, bien qu'il n'osât pas le regarder dans les yeux.
Mathis posa un regard intrigué sur lui, et repoussa une boucle brune derrière l'oreille de l'étudiant, détaillant le visage anguleux. Comme il ne répondait pas, Eliott précisa, d'une voix qui tremblait un peu :
— Ce n'est pas le moment où... Ne faut-il pas que...
Les doigts du boulanger s'égarèrent un peu sur le visage de l'étudiant, caressants, et Mathis murmura :
— Il ne « faut » rien, Eliott. Il n'y a que ce que tu as envie de faire qui compte.
— Mais... Tu... » Eliott prit une grand inspiration et énonça à toute vitesse : « Mais toi tu as des envies aussi et normalement quand tu mets un homme dans ton lit tu... »
— Non.
Mathis le coupa brusquement, posant son index sur la bouche du brun. Il reprit, plus doucement.
— Enfin si, j'ai des envies aussi, et non, je ne les impose jamais à personne. Tu viens de faire une découverte sur toi, Eliott. C'est ton rythme que l'on va suivre, moi je m'adapte.
Comme Eliott semblait perplexe, il précisa :
— Est-ce que j'ai envie de faire l'amour avec toi ? Oui, vraiment. Depuis le soir où l'on s'est rencontrés, d'ailleurs. Est-ce que ça va arriver ? C'est toi qui décideras de ça, quand tu sauras ce que tu veux et où tu en es. C'est tout.
— Mmmh.
Eliott hocha la tête. Il se mordillait la lèvre, comme s'il se retenait de parler, et dans le même temps il se tendait légèrement vers les doigts de Mathis, toujours égarés sur son visage. « Adorable », pensa le boulanger, dont les joues s'empourprèrent légèrement.
— Est-ce que je peux venir contre toi ?
— Bien entendu.
Mathis ouvrit un bras, et Eliott se glissa d'une couette à l'autre pour venir se lover contre le blond, qui l'enlaça en poussant un soupir de satisfaction. Mus par l'habitude, déjà, ses doigts se glissèrent sur le bras nu d'Eliott et le caressèrent lentement. L'étudiant ferma les yeux et bâilla, le sommeil venant le cueillir bien rapidement. Le boulanger suivit peu après, bercé par le souffle régulier du garçon dans ses bras et la chaleur du corps osseux collé à lui.
**
Bzz Bzz Bzz. Bzz Bzz Bzz.
Eliott ouvrit un œil. Il faisait nuit noire et son téléphone vibrait avec insistance. Ils ne dormaient pas depuis si longtemps que ça. Son cœur fit un bond dans sa poitrine quand il vit le nom de sa tante s'afficher.
— Allo ? Tata ?
— Mathis ! Ton père est tombé et ta mère n'est pas arrivée, et il ne réagit pas quand je lui parle et...
— J'arrive. Raccroche Tata et fais le 112 avec ton téléphone portable. Ils te diront quoi faire, je vous rejoins à l'hôpital. J'arrive.
— Tu arriveras avant les pompiers.
Mathis bouclait déjà sa ceinture et cherchait du regard le sweat à capuche qu'il portait la veille. Il le trouva sans peine. Depuis qu'Eliott était entré dans sa vie, son logement était bien plus ordonné, et ses vêtements se trouvaient sur la chaise du bureau.
— Tu as besoin de dormir, Mathis. Je peux me débrouiller.
— Dis pas n'importe quoi. Viens.
Eliott était déjà dans l'entrée, en train de fermer ses boots, son portable à la main. Mathis saisit ses clés et son portefeuille sur la desserte et ouvrit la porte. L'étudiant ne protestait plus et se laissa conduire sans rechigner. Ce n'était pas la première fois que Mathis le ramenait chez lui, mais il n'appréciait pas vraiment cela, toujours un peu gêné de la banlieue ouvrière miteuse où il résidait.
Ses mains tremblaient. Il les frotta lentement l'une contre l'autre et les coinça entre ses genoux. Du coin de l'œil, Mathis saisit le mouvement. Il lâcha le levier de vitesse pour entrelacer ses doigts à ceux du jeune homme.
— Je ne vais pas te laisser, Eliott. Ça va aller. On va arriver vite.
Et de fait, en voiture le temps de trajet était drastiquement plus court. Vingt minutes plus tard ils étaient garés derrière un camion du SAMU dont le gyrophare bleu illuminait la rue. Eliott se précipita vers l'entrée de sa maison, d'où arrivaient des soignants et une civière.
— Papa !
Eliott se précipita vers la civière et le corps qui y était sanglé. Quelques mots furent échangés et une femme passa sa main dans le dos de l'étudiant alors que son père était chargé dans l'ambulance, puis elle monta avec les soignants et une seconde femme pressa gentiment le bras d'Elliot. Mathis était resté près de sa voiture, ne voulant pas s'imposer. Il s'approcha alors que le véhicule médical s'éloignait rapidement, toutes sirènes hurlantes. Il se racla doucement la gorge pour s'annoncer, puis proposa :
— Voulez vous que je vous conduise pour les rejoindre aux Urgences ?
**
Les hôpitaux sont décidément tous pareils. Une peinture pastel qui avait dû être sympathique il y a des années. Des soignants débordés, épuisés mais essayant toujours d'être présents même avec les bras croulant sous dossiers. Du bruit, des bips, des gens inquiets et tristes, et l'attente. Surtout, l'attente.
Eliott et sa tante avaient rejoint la mère de ce dernier dans la salle d'attente, et Mathis se tordait un peu les doigts en les regardant.
L'étudiant le rejoignit après avoir serré sa mère dans ses bras et lui offrit un sourire faible.
— Merci Mathis... De nous avoir conduits ici si vite. Tu... Je suis désolé de t'avoir dérangé, tu dois être tellement fatigué...
Du dos de la main, le boulanger effleura les doigts de l'étudiant.
— Je... C'est normal, Eliott, et en fait... et je... je... » Il se racla la gorge. « Je ne veux pas m'imposer ni... déranger ni... enfin voilà, mais si ça ne tenait qu'à moi je resterais avec toi. Aussi longtemps que tu en as besoin et...
— Reste. S'il te plait.
Mathis hocha la tête. Il devait se retenir de toutes ses forces de ne pas enlacer le jeune homme, dont le visage ravagé d'angoisse lui brisait le cœur.
Ensuite il n'y a que les heures qui s'étirent, et rien, absolument rien à faire. La mère d'Eliott – Karine, s'était-elle présentée – avait fini par s'endormir, lovée contre sa belle-sœur. Mathis en avait profité pour discrètement entrelacer ses doigts à ceux d'Eliott, à l'abri des regards.
Le jour était levé depuis bien longtemps lorsque le médecin vint les informer qu'ils avaient enfin trouvé un lit en réanimation, où le père d'Eliott était transféré. Il avait fait un AVC et si son pronostic vital immédiat n'était plus engagé, rien ne pouvait encore être avancé quant aux possibles séquelles.
Comme une seule personne pouvait rester auprès du malade, Mathis reconduisit Eliott et sa tante chez eux. Sur le pas de la porte, il pressa les deux mains d'Eliott dans les siennes, essayant de faire passer dans ce bref contact tout ce qu'il pouvait.
— Appelle-moi au moindre besoin, d'accord ? Et je peux venir te chercher si tu as besoin.
Eliott secoua la tête.
— Je vais rester là. Il faut que je travaille, de toute façon. Ça va aller. Merci pour... pour... tout.
Mathis lui pressa une dernière fois les mains et lui sourit, réprimant l'envie de l'enlacer et de l'embrasser là, tout de suite, en lui disant que ça allait aller.
Au lieu de quoi il tourna les talons, monta dans sa voiture, et démarra.
De : Type de la boulange
Ça va aller. Je suis là, OK ?
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Appartenir
Romansaappartenir : (bas latin appartinere, être attenant, de pertinere, se rapporter à) 1. Être la propriété de quelqu'un, son bien, soit de fait, soit de droit. 2. Être à la disposition de quelqu'un, dépendre de lui, se prêter à une quelconque a...