3 mai 2022, Upper East Side.— Votre rendez-vous est arrivé, monsieur, me prévient ma gouvernante, dans l'entrebâillement de la porte.
— Merci, Teresa. Accordez-moi cinq minutes.
Mon regard balaye la vue donnant sur l'East River à travers la baie vitrée de mon bureau, puis s'arrête sur le calendrier épinglé au mur. Chaque jour est barré d'une croix rouge et aujourd'hui ne fait pas exception. J'ai pris le pli depuis trois ans désormais. Des marques qui me rappellent que Lexie nous a quittés du jour au lendemain.
Mille quatre-vingt quinze croix.
Mille quatre-vingt quinze jours.
Sans elle.
Je l'ai appelé les jours qui ont suivi son départ. Je lui ai envoyé de nombreux messages qui sont tous restés sans réponse.
J'ai mis sa réaction sur le compte d'un baby blues, pensant qu'elle avait besoin d'un peu de temps et d'espace. J'y ai cru, mais aujourd'hui je me suis fait une raison.
Lexie ne reviendra pas.
Lexie ne reviendra plus.
Elle a abandonné son futur mari et le fruit de ses entrailles. Quelle mère aurait fait ça ?
Si les premiers mois j'éprouvais énormément de compassion et de tristesse pour elle, ça a bien changé. À présent, seules la colère et la rancœur coulent dans mes veines. J'ai retiré tous les cadres où son visage apparaissait. Croiser son regard à chaque coin de cette maison était trop dur. Elle ne mérite pas sa place sur les murs.
Il est formellement interdit de prononcer son prénom dorénavant. Ces cinq lettres me donnent la nausée.
Quelques coups contre la porte me sortent de mes pensées. Je me racle la gorge avant de lui demander d'entrer.
Une femme d'une vingtaine d'années se tient devant moi. Jean troué, tee-shirt retombant sur une épaule. La main refermée sur l'anse de son sac qui traverse son corps, elle observe la pièce, omettant de se présenter.
— Bonjour !
L'intonation grave de ma voix semble fonctionner, puisque son regard finit par s'arrimer au mien, et c'est en mâchouillant vulgairement son chewing-gum qu'elle me répond enfin :
— Oh, bonjour.
Elle n'attend pas mes instructions, prenant place sur le fauteuil, face à moi.
Asseyez-vous...
J'aime les gens qui prennent des initiatives, mais celles-ci me dérangent un peu.
— Avez-vous apporté votre CV ?
Elle acquiesce avant de fouiller dans son sac. Elle me tend le papier légèrement froissé et taché en bas de la feuille. De mieux en mieux.
Je le lis rapidement, très rapidement.
Trop rapidement.
— Votre seule expérience se résume à quelques baby-sittings quand vos parents sortent ?
— Ouais.
Je serre la mâchoire pour m'empêcher d'être désagréable. Ce n'est qu'une gamine. Je n'ai pas besoin d'en entendre davantage, elle ne s'occupera pas de mon bébé.
— Très bien, mademoiselle. Je garde votre CV et je vous recontacterai quand j'aurai fait mon choix.
Inutile d'être franc avec elle, au risque de me montrer offensant. Je suis à cran et sur les nerfs de devoir trouver une nounou, elle n'a pas à subir ma mauvaise humeur.
Je me lève et me dirige vers la porte pour l'inviter à partir. Arrivé à sa hauteur, je la salue.Plusieurs rendez-vous s'enchaînent. Tous avec le même résultat : des échecs cuisants.
Elles avaient toutes des motivations différentes, mais aucune d'elles ne concernait le bien-être de ma fille.
— Pourquoi avoir postulé ? demandé-je à la jeune femme affublée de tout un tas de colliers multicolores.
— Pour le salaire, avoue-t-elle délibérément.
Je suis conscient que c'est un point crucial et que tout travail mérite son dû, mais je ne suis pas sûr que le motif premier doit être l'argent. Le confort de mon bébé est plus important que ça.
Poubelle. Une fois l'entretien terminé, je me débarrasse de son CV. Il ne me servira à rien.
Quelques-unes étaient là juste pour mes beaux yeux. Comment je le sais ? Elles rougissaient dès que je leur posais une question, me dévoraient du regard pour certaines et répondaient complètement à côté de la plaque pour d'autres.
— Vous êtes pour ou contre les punitions ? m'enquiers-je en appuyant mes coudes sur la table en verre.
La jeune blonde réfléchit quelques secondes avant de se redresser et de réajuster son décolleté.
— Si c'est vous qui me sanctionnez, je ne dis pas non...
Je reste bête quelques secondes, la bouche entrouverte. Je ne pensais pas qu'on pouvait se comporter ainsi lors d'un entretien d'embauche. Je crois que le phénomène Grey leur a trop monté au cerveau.
— Notre échange est terminé ! clôturé-je en bondissant de mon fauteuil.
Je déteste le regard qu'elle porte sur moi. Elle me détaille comme un vulgaire morceau de viande qu'elle aimerait déguster. Ou plutôt dévorer.
J'ai tiré un trait sur les femmes depuis qu'elle m'a quitté et ce n'est certainement pas de cette façon que l'une d'entre elles me fera changer d'avis.
— Mais...
— Je ne tolère pas ce genre de comportement chez moi. Mlle Williams vous raccompagnera.J'ai fini la journée sur les rotules, le cerveau en compote. J'ai rencontré plus de dix personnes et aucune n'a retenu mon attention. Pas une seule. Je suis inquiet. Teresa, ma gouvernante, ce petit bijou est une femme exceptionnelle, mais elle ne peut pas à la fois s'occuper de la maison et de June. C'est bien trop.
Elle tape contre la porte et une petite tête brune apparaît dans l'entrebâillement.
— Petit cœur s'est réveillée et elle tenait absolument à venir vous faire un câlin, alors...
— Vous avez bien fait, Teresa, la rassuré-je en la caressant de mon regard.
Je crois qu'elle n'a jamais appelé ma fille par son prénom. Elle l'a toujours affublée de ce surnom qui est plus qu'adorable. C'est sa grand-mère qu'elle ne voit pas souvent. Elle vit avec mon père en Italie. Avec le travail, j'ai du mal à trouver du temps pour y aller et ma mère a une peur bleue de l'avion, alors elle ne risque pas de poser un pied sur le sol américain. Ce n'est pas facile tous les jours d'être loin d'eux, surtout quand ma propre famille, celle que j'ai voulu créer, a explosé.
Je secoue la tête pour chasser mes pensées éparses. Elles n'ont pas leur place.
— Papa, crie ma fille en me tendant ses minuscules mains.
Je m'extirpe de mon fauteuil et m'accroupis devant mon bureau, prêt à recevoir la petite tornade. Ma gouvernante à la chevelure argentée libère June qui se précipite dans mes bras.
Je hume le dessus de sa tête en fermant les yeux et une douce senteur de caramel me chatouille les narines. Une odeur apaisante. Mon odeur préférée.
— Tu as bien dormi, la mia principessa?
Sa tête calée contre mon torse, elle opine du chef. Elle aime entendre les battements de mon cœur, un son qui la rassure. Lorsqu'elle est née, chaque soir, je la prenais en peau à peau. J'avais besoin de créer ce lien unique avec ma fille. C'était un moment intime et doux. Ça a toujours réussi à apaiser ses pleurs, encore aujourd'hui.
— J'imagine que tu as faim ?
Les gargouillements de son ventre répondent pour elle.
— Voglio un grande bacio prima.
Je lui parle chaque jour dans ma langue maternelle depuis sa naissance. A ce jour, June est bilingue et maîtrise à merveille l'anglais et l'italien. Je suis fier de mes origines italiennes et ma mère aurait été très déçue que je ne transmette pas ce patrimoine à ma fille.
Ses mains viennent encadrer ma mâchoire et sans attendre, une pluie de bisous se déferle sur mes joues, mon front, mon menton.
Elle sait pertinemment que je lui en demanderai plusieurs, alors elle m'en fait souvent plus. Son rire cristallin se mélange au mien, quand bientôt celui de Teresa nous rejoint.
Un moment agréable, hors du temps et des problèmes.
Mlle Williams m'observe et son regard parle pour elle. Je ferme les yeux, dépité par cette série d'entretiens tout aussi minables les uns que les autres.
Elle pose sa main sur mon bras, exerce une petite pression réconfortante.
— Vous finirez par trouver la perle rare, m'assure-t-elle.
Je lui renvoie un sourire contrit. Je n'ai plus d'espoir.
Ma fille est une pile électrique, Teresa risque de partir en retraite plus tôt que prévu. Il devient urgent de recruter quelqu'un. J'ai pu jusqu'à présent me libérer avec le travail, mais désormais c'est chose impossible. J'avais beaucoup délégué à mon associé et meilleur ami, Caleb, mais il est grand temps que je reprenne la barque.
Si les miracles existent...________________
1 : ma princesse, en italien
2 : je veux d'abord un bisous
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Last Hope
RomanceRoy Miller a besoin d'une nounou. Hope Johnson a besoin d'urgence d'un nouveau travail. Deux personnes qui n'auraient jamais dû se rencontrer. Les princes charmants n'existent pas que dans les livres. Ouvrez les yeux, vous pourriez rencontrer le vot...