Hugo semble furieux alors qu'il passe la baie vitrée menant à l'intérieur.
— Il va finir par me rendre folle. Il n'en fait qu'à sa tête. Tu ne trouves pas ? me demande-t-elle, de l'espoir dans la voix.
Impossible de lui donner raison, s'il n'a rien avalé depuis hier soir, je comprends qu'il ait faim. Je préfère détourner ma réponse, car il n'est pas dans mon intérêt de fâcher l'assistante, ni dans mes valeurs d'accabler quelqu'un qui a raison.
— Je ne le connais pas assez pour en juger...
— Non, mais tu verras bien assez vite qu'il ne fait attention qu'à lui, c'est difficile de travailler auprès de personnes comme lui. Il délègue absolument tout, je suis certaine qu'il n'a même pas pris la peine de consulter le planning de son séjour par email... Si ce travail ne payait pas aussi bien, j'aurais changé depuis longtemps...
Sa dernière remarque me heurte. Comment peut-on travailler aussi étroitement avec quelqu'un si tout ce qui nous motive, c'est l'argent ? Ce ne sont pas mes affaires, mais j'ai du mal à comprendre.
Je laisse Emma retourner à son travail et part en cuisine voir si ma sœur à besoin d'aide. Aijas'affaire à la préparation d'un gratin pour le soir. C'est la première fois qu'elle se retrouve avec autant de monde en même temps sous son toit, mais elle était aussi emballée que nous à l'annonce de la proposition de l'agence.
Je suis surpris de la trouver en train d'expliquer à Hugo comment on se sert d'un épluche légume. Une pomme de terre dans une main, le mannequin râpe la peau du tubercule de manière soigneuse et appliquée mais surtout lente à voir la vitesse des mouvements d'Aija juste à côté de lui.
Je m'épaule au chambranle de la porte et les observe. Pas besoin de mots, l'homme est méticuleux dans son travail, comme s'il découvrait quelque chose d'extraordinaire. A-t-il déjà cuisiné ?
La réponse à ma question pourrait paraître évidente pour une personne de notre génération. Les hommes et les femmes partagent l'entièreté des tâches ménagères, aussi bien la cuisine, que la lessive et les sols. Alors découvrir qu'il existe des gens comme Hugo, qui découvrent, passé la trentaine, l'usage d'un éplucheur, je suis stupéfait. Les mots de son assistante n'étaient sûrement pas si éloignés de la réalité tout compte fait.
— Au lieu de nous regarder, tu pourrais peut-être nous aider, m'interpelle Aija, faisant sursauter Hugo dans le même temps.
Ce dernier se lève d'un bond et s'excuse :
— Je vais vous laisser, je ne suis pas d'une grande utilité.
Alors qu'il s'apprête à sortir de la cuisine, il se retourne et remercie ma sœur pour le morceau de pain qu'elle lui a donné, puis disparaît.
— D'où vient-il pour ne pas savoir préparer les légumes pour un gratin. Ce n'est pas sorcier ?
Aija fronce les sourcils face à ma remarque.
— Tu ne connais pas sa vie, Mat, j'avoue avoir été surprise aussi, encore plus lorsqu'il m'a proposé son aide.
Intrigué par le comportement de l'homme à l'opposé de la façon dont Emma me l'a décrit, je me promets de creuser le sujet plutôt que d'avoir, moi aussi, des idées préconçues sur le mannequin. Ce n'est pas dans mes habitudes de juger les gens, et pourtant, les bribes de conversations surprises aujourd'hui tendent plutôt à me laisser croire qu'Hugo est un homme qui se contente de consommer.
— Tu es la voie de la sagesse, Aija, comme toujours. Je me suis laissé influencer par ce que j'ai entendu aujourd'hui.
— Cet homme me paraît bien seul, si tu veux mon avis.