Les pieds dans l’eau, j’accueille avec bonheur la brise légèrement humide qui court sur ma peau. Les rayons du soleil diffusent une douce chaleur et je me délecte de cet instant de calme et de silence. Personne pour me donner un ordre, me dire quoi faire et comment ! Comme si ici, au bout du monde, j’avais trouvé le moyen de vivre pour moi. Bien évidemment, je dois me reposer et ne pas trop tirer sur la corde, mais comment passer à côté de moments si simples qui me font tant défaut dans ma vie citadine.
Pris d’une envie soudaine, je retire mes vêtements et saute dans l’eau. Elle est fraîche mais cela ne me dérange pas. J’ai de la chance car elle m’arrive au niveau du bassin. J’avance un peu plus loin, en me méfiant de ne pas glisser sur les galets du fond. Quand la profondeur est correcte et mon corps immergé jusqu’au cou, je me lance pour faire quelques brasses. Seul le bruit de mes mouvements sur la surface du lac vient troubler le silence.
— Heureusement qu’il n’y a aucun alligator dans nos régions et que les ours polaires ne sont pas de sortie, s’amuse une voix féminine.
Je me retourne et découvre Aija assise sur le plancher de bois, deux tasses fumantes en main.
— Je ne me suis même pas posé la question, j’aurais été bien embêté si tel avait été le cas.
— Nous vous aurions prévenu de ne pas vous aventurer dans le lac, nous ne sommes pas irresponsables, s’amuse-t-elle.
— J’espère que cela ne dérange pas que je nage un peu ?
Il y a peut-être des règles à respecter, et il serait possible que je n’en soit pas conscient. Deux mouvements de bras me ramènent près du ponton et je me hisse dessus. J’ai bien fait de garder mon caleçon avant de me mouiller.
Aija me tend une tasse, et je l’accepte avec plaisir.
— Ici la nature appartient à tout le monde, m’explique-t-elle. Nous prenons ce dont nous avons besoin… que ce soit de la nourriture, du temps, du calme, des paysages à observer… Tout est là…
Vu de cette façon, il n’est pas difficile d’imaginer pourquoi elle et Keijo ont implanté leur maison d’hôtes à cet endroit.
— Et si tu me parlais de ce qui t’a amené jusqu’à lui ? m’interroge-t-elle en me désignant l’étendue d’eau devant nous.
J’ignore pourquoi, mais avec Aija, il est facile de me confier. Alors les explications sortent naturellement :
— Une recherche de réalité. Le besoin d’être auprès de quelque chose de vrai, de réel.
Aija fronce les sourcils mais mon regard la fuit et mon attention se reporte sur l’horizon.
— Hugo, je ne comprends pas… Tu es avec ton équipe ici, vous semblez tous bien vous entendre et… Je ne sais pas… cComment l’expliquer…
Elle a raison, je suis ici avec mon staff, dans un petit coin de paradis très calme à cette période de l’année, devant un magnifique point de vue… J’ai tout ce qu’il me faut, mais le plus frappant, c’est ce vide dans ma poitrine, cette solitude qui se révèle au fur et à mesure que j’en prends conscience.
Cette soirée était très sympa, cependant, chacun discutait de sujet dont je ne me sentais pas concerné. Le problème est peut-être là justement… Est -ce -que je ne m’intéresse pas assez aux autres ?
Ces questionnements incessants réussissent à me donner la migraine. Je devrais rentrer me coucher avant que cela ne s’aggrave. Mais je me surprends à continuer dans mes explications :
— Pour la première fois de ma vie, je me sens comme un étranger auprès de personnes que je côtoie depuis un certain nombre d'années maintenant. Ils devraient être devenus des amis, nous devrions partager plus que des mots concernant le travail, et pourtant, je n’y parviens plus. Quelque chose s’est brisé en moi, et il m’est impossible de mettre le doigt dessus pour pouvoir le réparer.