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Le bruit de la calèche martelant le sol alourdissait Honorine, qui voyageait depuis bien trop d'heures assise dans une robe inconfortable. Sa mère, devant elle, lui ordonnait par des regards de se tenir droite, lui répétant que d'ici deux jours, elle ne sera plus une jeune fille de la noblesse parisienne, mais une Comtesse de Cornouaille. Mais cela ne servait à rien de lui dire sans cesse cette triste vérité dont Honorine en avait versé tant de larmes qu'elle n'arrivait plus à sourire.
Son voyage se termine bientôt, faisant apparaître un pincement au ventre de la jeune femme quand elle vit au loin une grande demeure aux allures gothiques, sa future maison. Son fiancé l'attendait sûrement à l'intérieur, buvant un alcool assez fort pour le rendre plus ignoble encore. Elle ne l'avait jamais vu, seulement entendu des rumeurs sur celui qui allait devenir son époux. Un sinistre vieil homme dont l'alcool a durcit les traits, violent et brutal, dépourvu de tendresse ou de bonté.

Il avait accepté d'épouser Honorine car elle était la fille de son ami, il n'était en rien amoureux d'elle, voulant seulement une belle épouse qui lui donnera des héritiers à son goût. C'était à cela qu'elle était réduite, une femme à enfanter les petits monstres d'un plus gros monstre.
Honorine n'avait pas décroché un seul regard à son père, assis aux côtés de sa mère, lui rejetant la faute de son terrible sort. Le trouvant égoïste et si peu aimant pour un père, elle trouvait un certain soulagement de savoir qu'après son mariage, elle n'avait pas l'obligation de le voir. De plus, elle allait devenir Comtesse, un rang bien plus élevé que son père, balançant l'autorité paternelle à la sienne. Elle essayait tant bien que mal de trouver un réconfort dans cette nouvelle vie.

Les chevaux commençant à s'agiter, Honorine passa légèrement sa tête dans la petite fenêtre de la calèche, voyant qu'un des garçons d'écurie s'approchait d'eux, une immense porte noire apparaissant derrière lui. Sa voiture s'arrêtant devant cette dite porte, un homme vient ouvrir leur porte. La mère d'Honorine se leva, mais l'homme mit sa main devant elle pour lui signifier de s'arrêter.

- La future Comtesse en première.

Honorine n'osait pas regarder sa mère, sentant son regard hautain sur elle. Elle se contentait de prendre la main tendue de l'homme pour descendre les petites marches, tout en ne quittant pas des yeux la grande porte qui commençait à s'ouvrir. Ses jambes tremblantes, elle s'approchait par automatisme de cette atmosphère si sinistre. Les domestiques les saluaient en baissant la tête, les yeux rivés sur le sol en pierre. Sauf une, qui paraissait plus jeune qu'Honorine, qui la regardaient avec de grands yeux. Un regard qui mettait la jeune femme mal à l'aise, y voyant un espoir qu'elle ne comprenait pas.

Conduits dans le grand hall d'entrée, le majordome les avaient salués d'une légère révérence avant de partir par une petite porte, laissant un autre homme, bien plus vieux, apparaître.

- Où est donc le Comte ? Ne vient-il pas accueillir sa future femme ? s'impatientait la mère.
- Nous vous souhaitons tous la bienvenue en nos lieux. Le Comte étant occupé, je vous accueille en son honneur, étant son secrétaire.
- Occupé ?! Quel arrogance.

La mère d'Honorine était stupéfaite, non pas parce qu'elle voyait que le mariage de sa fille allait être dur, mais seulement parce qu'un Comte avait osé ignorer sa divine présence. Honorine se contenta de regarder le majordome, autant agacé qu'elle mais assez professionnel pour le cacher. Il tourna les talons vers elle, s'adressant maintenant à celle qui allait devenir sa Maîtresse.

- Mademoiselle, je vais maintenant vous accompagner à vos appartements. Un majordome va accompagner votre famille aux leurs. Je vous prie de bien vouloir me suivre.

Honorine ne se fit pas prier pour quitter ses parents et suivre le secrétaire. Montant de grands escaliers en marbre froid, elle ne pouvait s'empêcher d'admirer les portraits accrochés tout le long du trajet. Sûrement la famille du Comte. Son regard s'arrêta net sur un portrait d'un homme brun, dans un costume en velours bleu nuit qui allait parfaitement avec ses yeux d'un bleu océanique. Il respirait la force et le pouvoir, mais elle avait beau chercher, aucun nom n'apparaissait sur ce portrait contrairement aux autres.

- Le Duc de Nice, frère du Comte. Louis de Nice. Nous aurons tout le temps nécessaire par la suite de vous apprendre qui sont ces personnes accrochées ici.

Louis. Un prénom français royal, qui lui donnait un charme en plus. Honorine reprit ses esprits et rattrapa le secrétaire qui avait repris sa route. Arrivant dans un couloir jonché de poutres en marbre et de bouquets de fleurs, le secrétaire arrêta sa route devant une porte en bois foncé qui laissait apparaître une chambre aussi sinistre que la demeure lorsqu'elle s'ouvrit. Entrant dans ce qui allait être sa prison à jamais, Honorine senti une angoisse monter de plus en plus à chaque regard qu'elle posait sur les meubles des appartements, découvrant peu à peu à quel point rien n'était fait pour elle.

- Est-il possible de décorer cette pièce ?
- Non, Mademoiselle d'Outremont. Le Comte ne veut rien modifier, pas même vos appartements.
- Cela promet...

Le secrétaire la salua avant de disparaître derrière la porte. Honorine ne bougeait pas de sa position d'origine, comme gelée sur place, incapable de bouger un seul membre. Elle était aussi figée que son regard qui s'était posé sur le sol, en bois aussi sombre que la porte. Tout était sombre, finalement. Tout ne laissait paraître qu'un lourd sentiment d'angoisse.

Elle fut surprise lorsqu'une petite porte de domestique s'ouvrit, suivi d'une dame qui s'arrêta devant elle, la saluant.

- Bonjour, Mademoiselle. Avez-vous besoin de quelque chose ?
- Oh, non. Je vous remercie...

Honorine paraissait si triste que la domestique eut de la peine, mais comprenait parfaitement son sentiment. Elle la salua une dernière fois avant de se diriger vers la sortie.

- Si je peux me permettre, Mademoiselle...
- Je vous en prie, permettez-vous.
- Si vous voulez survivre ici, il vous faut oublier tous vos rêves, vos ambitions et même les personnes qui vous sont chères. Ne donnez en aucun cas au Comte un moyen d'avoir une emprise sur vous, en aucun cas.

Ces mots eurent comme une vibration dans le corps d'Honorine, elle savait à quel point le Comte avait mauvaise réputation, mais elle n'avait pas réalisé que les personnes les plus aptes à la comprendre étaient bien les domestiques servant au quotidien cet homme.
Elle le savait, ce n'était que le début de son calvaire.

Elle se mit à repenser au portrait du Duc qu'elle a aperçu. Il avait beau être son frère, il n'en ressemblait aucunement, projetant une vague de chaleur rien qu'en peinture.

HonorineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant