Chapitre 4

292 62 11
                                    

 Plusieurs jours étaient passés depuis que Mélandrie avait rendu visite aux dieux du panthéon pour leur proposer de prendre à leur charge les terres noires. Malgré ses craintes, ce passage de flambeau s'était fait très facilement, comme s'il s'agissait de le dire pour que ce soit effectif. Les dieux avaient directement senti que leur perception s'étendait au-delà des montagnes qui, auparavant, marquaient la frontière de leur territoire.

Tous purent voir l'ampleur de la tâche qui leur avait été confiée. Certains étaient enthousiastes, comme la déesse de la nature qui avait promis de se mettre au travail au plus vite, tandis que d'autres étaient plus réservés et se plaignaient déjà de la surcharge de travail qui allait leur tomber dessus.

En l'amenant devant le panthéon, Shed avait pu se faire en partie pardonner. La déité qu'était la terre-mère en était satisfaite, mais Mélandrie en elle-même ne pouvait pas excuser son père. De retour dans sa ville qui, ici, ne lui avait appartenu que trois jours, l'ange de miséricorde s'était enfermée dans la pièce qui lui avait servi de chambre.

Celle-ci n'était pas aménagée, loin du confort qu'elle avait pu connaître. Il s'agissait toujours d'un lieu de repos, mais le lit et les quelques meubles bringuebalants appartenaient à un chaman du culte du cristal mort dans l'assaut de la ville, ce n'étaient pas les siens.

Assise sur le lit et recroquevillée sur elle-même, Mélandrie était plongée dans une profonde dépression. Elle ne pouvait s'empêcher de ressasser son passé, ce futur qui n'arriverait pas, et à lister tout ce qu'elle avait perdu en un instant. Faire cela lui faisait bien plus de mal que de bien, mais elle ne pouvait pas s'en empêcher.

Bien que ses compagnons de voyage voulaient l'aider, elle n'autorisait presque personne à entrer dans la chambre. Même Mahat avait été éconduit lorsqu'il avait tenté sa chance. La seule capable de passer la porte sans qu'elle ne dise quoi que ce soit était Kahina. La prêtresse de la terre-mère avait pendant longtemps été celle par laquelle elle s'exprimait alors qu'elle était emprisonnée dans le cristal. Le lien qui les unissait était fort, du moins, il l'avait été.

Bien sûr, elle aimait toujours son compagnon, mais les quelques fois où il avait tenté sa chance au premier jour de son retour, Mélandrie avait surtout été submergée de souvenirs d'eux et de leurs enfants. Si elle se torturait seule en ressassant ce passé perdu, que ce soit un événement extérieur qui lui rappelle des sujets aussi sensibles était bien trop pour elle.

Étrangement, ce phénomène ne se produisait pas avec la jeune humaine des terres-noires. Peut-être était-ce parce que son apparence avait bien changé, ou bien à cause d'une tout autre raison. Elle n'en savait rien, mais seule elle lui apportait du réconfort plutôt que de la peine supplémentaire lorsqu'elle la voyait.

Bien qu'elle n'arrive pas à concevoir ce qui lui était arrivé, Kahina ne cherchait pas à porter un jugement ou à remettre sa parole en doute. Elle la croyait sans avoir besoin d'une quelconque preuve.

Alors qu'elle amenait une écuelle qui, elle le savait, allait repartir sans que Mélandrie n'y ait touché, l'adolescente ressentit à son tour le besoin de se confier. Pendant une courte durée, elles inversèrent ainsi les rôles, les rapprochant d'autant plus l'une de l'autre.

Le fait est qu'elle était prêtresse de la terre-mère et qu'il s'agissait, plus qu'une vocation pour elle, de sa raison de vivre. Elle avait toujours vénéré cette entité. Lorsque Mélandrie avait pris place pour remplacer la pierre des vents, elle ne l'avait pas vécu comme un remplacement, mais comme une évolution dans sa foi.

Cependant, à présent que les terres noires appartenaient au panthéon, Kahina était perdue. Vénérer ces nouveaux dieux revenait, pour elle, à trahir la terre-mère. Pour elle, même si elle ne faisait plus office de conscience, Mélandrie restait celle en qui elle voulait continuer de croire et à dédier ses prières.

Mélandrie Tome 4 : Les fils du destinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant