Chapitre 9

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 Invités par l'ancienne déesse de la vie, presque tout le monde dormait à poings fermés dans la maison calme, isolée au bord d'un lac lui-même entouré d'une forêt. Si Ouros semblait apprécier le fait de ne pas être dérangé dans ce lieu paisible, les différentes chambres d'ami qu'ils avaient indiquaient que sa femme, elle, aimait bien recevoir du monde.

Malgré le grand lit confortable qu'elle occupait, Mélandrie n'arrivait pas à trouver le sommeil. Ne cessant de se tourner et de se retourner, l'ancienne conscience de la terre-mère finit par perdre patience et se leva pour aller prendre l'air.

Sous un ciel étoilé qui lui était totalement inconnu, elle s'avança sur le ponton en bois et s'assit au bout de celui-ci. Là, ses pieds effleurant à peine la surface de l'eau, elle leva les yeux au ciel et se perdit dans sa contemplation.

— Tu vas attraper froid habillée comme ça, fit la voix douce de sa mère derrière elle alors qu'elle avait fini par perdre toute notion du temps.

Sans détourner son regard des étoiles, Mélandrie sentit une couverture se poser sur ses épaules ainsi que sa mère s'installer à côté elle. L'ange de miséricorde se pencha alors et posa sa tête contre l'épaule de Lief. Cela faisait bien longtemps qu'elle ne l'avait pas fait. La dernière fois que c'était arrivé, l'ange rouge devait encore avoir les traits d'une succube et elle-même pensait qu'elle était une démone.

Si cela représentait quelques mois pour l'une, cet intervalle de temps se comptait en dizaine d'années pour l'autre.

— Tu n'arrives pas à dormir ?

— J'ai beaucoup trop de choses à l'esprit pour y arriver. De ce côté-là, être enfermée dans mon cristal était bien plus simple. Je ne dormais jamais.

— Et qu'est-ce qui, ici, t'empêche de dormir ?

— Je me pose des questions. Avant d'entrevoir l'espoir de retourner dans ma ligne temporelle, je m'apitoyais sur mon sort. À présent je pense à toutes les personnes qui étaient sous ma responsabilité en tant que divinité. Il s'est écoulé quarante ans là-bas alors qu'ici, ça ne fait que trois jours. Et si le temps avait continué ainsi alors que je suis absente ? Et si mes terres prospères étaient devenues encore plus inhabitables que l'étaient déjà les terres noires ? Et si, malgré nos efforts, je ne pouvais pas retourner là-bas ? Enfin... Est-ce que j'arriverai un jour à pardonner à papa ce qu'il a fait ? Arriverais-je à faire la part des choses et me dire que celui de ma ligne temporelle n'est pas celui qui m'a tout pris ?

— Il y a en effet de quoi en perdre le sommeil, commenta sa mère. Je n'ai pas les réponses à la plupart de tes questions, mais je pense que tu arriveras à pardonner à Shed, même à celui de cette ligne-ci.

— Et qu'est-ce qui te fait dire ça ?

— Parce que tu l'as appelé papa.

— Ça, ça ne veut rien dire, souffla Mélandrie en baissant les yeux.

— Ton père est bourré de défauts. Il en a même bien plus que de qualité, mais il tient à toi au point de sacrifier consciemment une moitié de continent pour toi. Il a su se montrer assez convaincant pour que tu le considères comme ton père et non un inconnu qui serait simplement ton géniteur.

— Quel père détruirait ainsi la vie de sa fille ?

— Il n'en savait rien à ce moment. Et puis, je ne comptais pas te le dire, mais depuis que tu as quitté le panthéon en leur remettant les terres noires, il remue ciel et terre pour trouver une solution pour toi.

— Je suis sûre qu'après ça, il est reparti faire sa vie comme si rien ne s'était passé tout en me traitant d'ingrate.

Sans lui répondre, Lief passa lentement sa main au-dessus de la surface de l'eau sous elles. Parfaitement calme jusque-là, de petits cercles concentriques commencèrent à se former et à s'agrandir. L'eau à l'intérieur se mit alors à changer de couleurs qui prirent rapidement des formes concrètes.

Mélandrie Tome 4 : Les fils du destinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant