4~ Alexandra

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— Alors ce premier jour d'école ?

Abigail est installée sous le porche de la maison sur la balancelle en bois, un mug de café glacé à la main et son bouquin ouvert, posé à côté d'elle.

— Merdique.

Je laisse tomber mon sac et m'assois aussi.

— Évidemment. Mais ça ira mieux demain.

Je ne réponds pas.

— L'optimisme n'est pas ton fort, jeune fille !

Je vois à son froncement de sourcil qu'elle a remarqué ma lèvre encore enflée, mais elle ne dit rien.

Je lui souris. Je ne sais pas si j'aime vraiment Abigail. Bien sûr, elle est sympa, mais nous n'avons jamais été très proches puisque la dernière fois que je suis venue ici, j'avais six ans. Je l'ai ensuite revu lors de l'enterrement de ma mère, mais j'étais bien trop mal pour faire attention à elle. Les seuls adultes que j'ai réellement aimés dans ma vie sont ma mère et madame Harris, la bibliothécaire de Newbury. Ce qui est pathétique, j'en ai conscience. Je ne suis pas très douée pour les relations familiales. Ni pour les relations tout court.

En tant que chirurgien, mon père n'est presque jamais, à la maison et Lauren est responsable communication dans une agence de pub, alors elle bosse tout le temps, y compris le week-end. Ils sont tous les deux tellement pris que je me demande comment ils arrivent à se voir. Je n'ai donc pas l'habitude que quelqu'un m'attende sur le pas de la porte pour me demander comment s'est passée ma journée.

— Ne t'inquiète pas va, tu finiras par t'y faire.

— Je sais...

Ma grand-mère finit son café. Elle est belle et fait encore très jeune. Elle est très jeune à vrai dire. Elle a eu ma mère à quinze ans. Et mon oncle est venu sept ans plus tard.

Nous avons les mêmes yeux, mais pas les mêmes traits. Je sais, pour avoir vu des photos, que ma mère ressemblait plus à son père. Mais mon grand-père est décédé il y a cinq ans. Il fumait beaucoup et cela l'a tué. Je ne l'ai pas connu. Ma mère ne lui adressait pas la parole et refusait de parler de lui quand j'étais petite.

— Ton père a passé un coup de fil aujourd'hui. Il insiste pour que tu le rappelles dès que possible.

Je hoche la tête sans répondre. C'est ça, ouais...

Mon père n'entretient que des relations cordiales avec Abigail. Il en parle comme d'une mégère insupportable. Moi je la trouve cool. Elle rit beaucoup. Elle est franche et directe. Un peu trop directe. Elle tient une boutique d'antiquités dans le centre de la vieille ville de St Raphael, à vingt minutes en voiture. Elle fait du yoga, de la randonnée, participe à un club de lecture et prépare le meilleur gratin de légumes que j'ai mangé de ma vie. Elle regarde des séries en boucle. Mais pas de vieilles séries, non, des séries très à la mode comme Revenge ou The good wife. Elle est étonnante tout simplement.

— Tu m'aides à préparer le repas ?

Je ne préparais jamais à manger avec Lauren. Jamais. Pourtant là, j'acquiesce avant de la suivre dans la cuisine.

Cette pièce me fait étrangement penser à celle de l'appartement dans lequel nous habitions ma mère et moi à West Atlanta dans l'état de Géorgie. Elle possède un mur entièrement couvert de briques et est décorée dans les tons blancs et bruns.

Je coupe les tomates et les courgettes pendant que Mamina s'occupe du poulet. Partager ce moment avec elle me rappelle les après-midis que nous passions à faire des cookies avec ma mère. Bien sûr, tout ça c'était avant qu'elle se drogue, perde la tête et se suicide.

You kill me Boy (Publié Chez HUGO ROMAN en 2018)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant