Sept heures vingt. Le bus s'arrête devant St Jones et je descends comme une marionnette. Je n'ai pas dormi de la nuit et les cernes creusés sous mes yeux sont là pour le prouver.
Ça sent la pluie et toutes les routes sont détrempées malgré le soleil qui commence à percer. On dirait que la température a chuté de dix degrés en une nuit sur la petite île subtropicale.
Deuxième journée de cours. Bon sang, j'ai l'impression que cette année va être longue.
Je me dirige vers la bibliothèque, mais quelqu'un me rattrape par le bras.
— Hé !
Une fille aux yeux bleus en amande et aux lèvres pleines me fait face. Elle balance ses longs, cheveux bruns quand elle parle. Elle est belle. Très belle.
— Salut, tu as oublié ça dans le bus.
Elle me tend mon carnet rose. Je lui arrache des mains tant je suis surprise de l'avoir laissé quelque part. Je dois être vraiment très fatiguée.
— Ne t'inquiète pas, je ne l'ai pas lu.
Elle me sourit franchement.
— Oh, euh... Excuse-moi. Merci.
Je bégaie. Mon cerveau est encore endormi.
— Moi, c'est Zara ! On a cours de sciences et de littérature ensemble !
Elle est bien trop enjouée, ça ne va pas le faire.
— Ok.
— C'est Alexandra, toi, c'est ça ?
Elle me suit vers la bibliothèque.
— Ouais.
Sa voix est fluette et fait beaucoup moins mature que son physique.
— Tu vis à quelques maisons de chez moi. Je t'ai vu monter dans le bus un arrêt après le mien.
— Oh.
J'espère qu'elle ne va pas me coller au basque toute la journée...
— Ma sœur connaît bien ta grand-mère.
— Ah bon ? me forcé-je à lui répondre.
— Oui, elle est coiffeuse et c'est elle qui coiffe madame Grant tous les mois.
Je hoche la tête. Elle sourit toujours.
— Bon, eh bien... on se voit en cours de littérature tout à l'heure ?
— Euh ouais, ok.
Et elle me plante là, sur les marches de la bibliothèque, pour se diriger le bâtiment qui abrite les cours de sciences et de mathématiques.
Tandis que je la suis des yeux, je tombe sur une silhouette tout de noir vêtue, adossée au mur. Les mains enfoncées dans les poches de son jean, une jambe relevée et appuyée sur le mur, le mec d'hier me regarde. Il porte un sweat à capuche et ses yeux à demi cachés par ses cheveux, sont encore plus sombres que ce que j'avais d'abord cru.
Zara s'approche de lui et se hisse sur la pointe des pieds pour lui faire la bise. Elle l'entraîne par le bras et ils disparaissent.
À la bibliothèque j'essaie de travailler, mais impossible. Ses yeux me hantent.
J'ai entendu qu'il s'appelle Austin. Des tatouages ornent ses bras : des roses avec des ronces sur un bras, une croix sur une main ; des étoiles, des oiseaux, un arbre sur l'autre bras. Il a une fine cicatrice sur la tempe gauche aussi. Si je veux être honnête avec moi-même, je dois reconnaître qu'il me fait un peu peur. Il est tellement sombre, et ce n'est pas seulement dû à ses yeux.
Je rêvasse encore quand la sonnerie retentit. Je file à mon cours de littérature.
Il y a de la place partout, mais je me place devant. C'est le seul cours où j'aime bien être aux premières loges.
— Coucou
Zara se laisse tomber sur la chaise à côté de moi. Merde. Je l'avais oubliée celle-là.
— Salut.
— Alors tu as trouvé ton bonheur à la bibliothèque ?
— Euh... En fait non. J'y vais juste pour étudier...
— Ah d'accord. Moi je préfère me mettre dans l'herbe pour travailler.
Elle sort ses cours. Et ne sourit plus quand elle me dit :
— Quand j'étais petite, ma mère me faisait toujours travailler dans le jardin et j'ai gardé cette habitude.
Je sens de la tristesse dans sa voix et ce n'est pas la peine que je lui pose la question pour savoir que sa mère est un sujet peu joyeux. Comme la mienne.
— Sauf quand il pleut, comme aujourd'hui.
Elle montre les fenêtres du menton et je vois qu'il a recommencé à pleuvoir.
Un mouvement capte également mon attention. Il arrive, retire sa capuche et son sac et se laisse tomber sur la chaise à ma gauche. Génial...
— Austin ! Je te présente Alexandra ! Alexandra, voici Austin, un de mes meilleurs potes.
— Euh, c'est Lexie plutôt...
Il ne nous regarde pas et s'allonge à moitié sur la table. La tête enfouit dans son bras, il fait semblant de dormir. Tant mieux. Je n'ai pas envie de lui parler non plus.
— Désolée, s'excuse Zara, il a passé une mauvaise nuit, je crois.
Sans blague. Bah, comme ça on est deux.
Je hoche néanmoins la tête gravement.
À midi, nous nous retrouvons à la même table au self car malheureusement les autres sont déjà prises. Je ne fais pas attention à leurs bavardages jusqu'à ce que Zara m'interpelle directement en agitant sa fourchette devant mes yeux.
— Tu fais quoi après les cours, Lexie ?
— Je rentre chez moi. Ma grand-mère travaille jusqu'à dix-neuf heures, alors je m'occupe du ménage et du repas...
— Elle est trop coincée, je t'avais dit qu'elle ne viendrait pas !
— Qui te dit que je ne viendrais pas ?
— Toi tu viendrais ?
Je n'ai pas suivi la conversation, mais tant pis. Rien que pour le contredire, j'irai là où il croit que je ne peux pas aller.
— Oui, je viens.
Zara tape des mains et saute sur le banc.
— Génial ! Je vais pouvoir te présenter aux autres.
— On va où exactement ?
— Jouer au billard à Pleasant Bay.
Je souris sincèrement. J'ai beaucoup joué au billard dans les bars de Boston et de Cambridge avec Mickaëlla en un an, alors ça me parle.
— Je ne comprends même pas pourquoi tu l'invites... grommelle Austin.
Quand je le vois enfourner une cuillère de ma mousse au chocolat dans sa bouche, je suis au summum de l'énervement.
— Putain ! Mais arrête de toucher à mes affaires !
J'ai crié et plusieurs têtes se retournent pour nous regarder. Austin est tellement surpris qu'il en lâche sa cuillère.
— Pourquoi tu cries ?
Pourquoi je crie ? Il est sérieux là ? L'envie d'enfoncer sa tête dans son plateau me vient furieusement. Au lieu de ça, je me lève et jette rageusement les restes de mon repas à la poubelle avant de sortir sous la pluie. Je préfère encore aller m'enfermer à la bibliothèque durant le reste de la pause.
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You kill me Boy (Publié Chez HUGO ROMAN en 2018)
Roman d'amour"- Pourquoi ? Cette fois, c'est la voix d'Austin qui retentit à mes oreilles. Je me force à le regarder en face. - Parce que tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches ; méprisables et sensuels. Je...