Chapitre 15

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Mechi ne reparla plus de cette conversation après ce matin-là. Et, conformément à sa promesse, Facu me fit une démonstration de son état d'excitation - en sautant sur place, tapant dans ses mains et exécutant une petite danse - dès le lendemain. À croire que c'était lui qui avait rencard avec Yoyi.

J'essayais de ne pas trop penser à notre sortie du week-end suivant, si compliqué que cela fût. C'était d'autant plus difficile lorsque Yoyi était dans le coin. Rien n'avait changé entre nous ; pourtant, d'une certaine manière, tout était différent. Quand il était assis à côté de moi en cours, je me sentais ridicule d'être aussi consciente de sa présence. À chacun de ses mouvements, quand sa jambe ou son bras m'effleuraient, un picotement me déferlait dans tout le corps et y restait jusqu'à la fin de l'heure. J'ignorais s'il s'en était rendu compte, mais j'espérais sincèrement qu'il n'en était rien.

Durant la semaine qui s'ensuivit, une gelée précoce se déposa sur l'État. Les arbres nus étaient secoués tels de vieux squelettes par le vent soufflant du Potomac ; je n'avais plus connu ce genre de climat depuis une éternité. J'avais beau ajouter couche après couche de vêtements, j'avais l'impression de traverser la banquise chaque fois que j'allais en cours.

Le vendredi précédant le « grand soir », Yoyi était d'humeur étrange, prenant même des notes pendant notre cours d'astronomie.

- Qu'est-ce qui te prend ? lui murmurai-je tandis que le professeur Drage faisait défiler des images de la Voie lactée au rétroprojecteur. Tu écoutes en classe.

Yoyi me lança un coup d'œil en coin.

- Comme toujours.
- Oui, oui.

Il fit tournoyer son stylo entre ses doigts, sans quitter le prof des yeux.

- Sans moi, tu n'aurais jamais ton examen.

Je me fendis d'un léger sourire.

- Sans toi, j'arriverais mieux à me concentrer.
- Vraiment ?

Il se pencha de sorte que son épaule vienne reposer contre la mienne. Il observa l'écran quelques instants supplémentaires puis se tourna vers moi. Quand il reprit la parole, ses lèvres s'agitèrent contre mon oreille, me donnant la chair de poule.

- En quoi est-ce que je te déconcentre, mon ange ?
- Ce n'est pas ce que tu t'imagines, mentis-je.
- C'est cela, oui.
- Un jour, ton ego va te faire imploser le cerveau.
- Je doute que cela se produise, répliqua-t-il.

Il fit alors courir le bord de son stylo sur le dos de ma main droite, remontant jusqu'à la manche de mon pull.

- Et ça, ça te déconcentre ?

Ne trouvant pas mes mots, je dus serrer mon stylo pour empêcher mes doigts de trembler.

- Alors ?

Son stylo redescendit jusqu'à l'ongle de mon majeur.

- Tu as entendu combien d'étoiles constituaient la ceinture d'Orion ? Non ?

Le stylo était reparti en sens inverse. Qui aurait cru qu'un simple Bic puisse se révéler si... sensuel.

- Il y en a trois seulement, mon ange.

Je me mordis la lèvre.

Un grondement sourd et profond s'éleva de sa poitrine.

- Quand tu fais ça, c'est toi qui me déconcentres, murmura-t-il.

J'écarquillai les yeux, suffoquée par sa réflexion.

Il ricana doucement, et un frisson délicat me parcourut l'échine.

- Tu sais quoi ?
- Quoi ? chuchotai-je.

Le jeu de la patienceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant