chapitre 20

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Je n'assistai pas aux cours d'astronomie du lundi ni du mercredi. Je n'arrivais pas à me résoudre à affronter Yoyi. Pas après avoir vu son expression quand il avait compris la cause de ma cicatrice. Pas après avoir dû faire comme si de rien n'était devant ses parents avant notre départ. Même si je ne les connaissais que depuis peu, je les trouvais déjà géniaux et étais peinée de me dire que je ne les reverrais sans doute jamais. Pas après l'interminable voyage du retour du vendredi matin, ni après que Yoyi avait essayé de me parler sur le pas de ma porte.

Et encore moins après qu'il eut tenté de venir chez moi pour nos ½ufs du dimanche et que j'avais refusé d'ouvrir la porte.

J'avais passé l'essentiel de mon week-end au lit, les yeux rouges et piquant de ces sanglots inconsolables qui ne s'étaient probablement pas encore tout à fait taris. J'avais boycotté le téléphone. Mechi m'avait envoyé des textos. Facu également.

Yoyi aussi.

Il avait également essayé de venir me voir le dimanche soir, le lundi soir et le mardi soir. Chaque fois, cela me faisait l'effet d'un coup dans l'estomac.

Je ne pouvais pas l'affronter, car la mine qu'il avait prise m'avait rappelé l'une de celles de ma mère.

Cela s'était passé cinq mois après la fête d'Halloween, et je n'en pouvais plus. Les assauts incessants à force d'e-mails, de SMS, de coups de téléphone et de messages Facebook m'avaient déjà sapé le moral, mais l'école et la vie réelle ? Dans les couloirs, les toilettes, la cantine et même les salles de classe, les gens ne se contentaient pas de chuchoter de ce que, selon la rumeur, il s'était passé entre Blaine et moi, quand nous étions entrés dans sa chambre. Ils en discutaient ouvertement, juste sous mon nez. Ils me traitaient de pute, de menteuse, de sale pute de menteuse ou de toute autre combinaison possible de ces deux mots. Les professeurs n'essayaient même pas de les en empêcher, pas plus que le personnel administratif.

C'était ainsi que moi et mon cadre, celui qui avait naguère accueilli une photo de moi et de ma meilleure amie - cette même meilleure amie qui m'avait affublée du sobriquet de traînée dans le couloir bondé -, nous étions rapprochés.

Mes parents avaient déjà du mal à me regarder avant que je m'entaille les veines, alors après... À l'hôpital, Maman avait complètement pété un plomb. Pour la première fois depuis une petite éternité, ses nerfs avaient lâché.

Elle était entrée en trombe dans ma chambre simple, mon père sur ses talons. Son regard cinglant avait navigué de mon visage à mon poignet bandé.

Un éclair de panique avait déformé ses traits trop parfaits, et j'avais alors cru qu'elle finirait par me prendre dans ses bras et par me dire que tout irait bien, que nous traverserions cette épreuve ensemble.

Mais la douleur avait cédé le pas à la déception, à la pitié et à la colère.

Comment oses-tu nous couvrir de honte de la sorte, Martina ? Que suis-je censée dire aux gens qui entendent parler de toute cette histoire ? m'avait demandé Maman. Sa voix chevrotait comme si elle s'efforçait de garder un ton mesuré, mais elle avait perdu les pédales et s'était mise à hurler. Après tout ce que tu nous as déjà fait, il a fallu que tu ailles encore plus loin ? Tu crois que nous n'avons pas encore assez souffert ? Quel est ton problème, Martina ? Par tous les dieux, qu'est-ce qui cloche chez toi ?

Les infirmières avaient dû l'évacuer de force.

Étrangement, quand je me remémorais cette soirée, je me souvenais surtout de cet air de panique fugace que j'avais pris, à tort, pour de la compassion.

Et quand Yoyi avait fait cette même tête, j'avais voulu disparaître, sachant que la stupeur se muerait à terme en déception, en pitié et en colère.

Le jeu de la patienceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant