Chapitre 18

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ses yeux verts de son père, de même que son sens de l'humour... et que sa faculté à tout déduire d'une logique incompréhensible, ce qui faisait sans doute de Richard Blanco un avocat si brillant. En quelques heures à peine, il faillit me convaincre de goûter de la biche séchée pour la première fois.

Faillit.

Si Yoyi ne m'avait pas chuchoté « Bambi » à l'oreille pendant deux minutes pleines, j'aurais sans doute cédé. J'étais cependant incapable de manger Bambi, même si M. Blanco semblait vraiment trouver cela succulent.

Nous prîmes le café dans la spacieuse cuisine au cœur de laquelle trônait une table en chêne éraflée idéale pour accueillir quatre ou cinq personnes. J'avais mal aux côtes d'avoir autant ri aux plaisanteries de Yoyi et de son père. Le premier était une copie conforme du second. Les mêmes cheveux en bataille, les mêmes yeux verts pétillant de malice, la même faculté à détourner chaque parole.

- Arrête, Papa, sérieux, tu te ridiculises.

Son père m'interrogea du regard, haussant les sourcils de la même manière que son fils.

- Est-ce que j'ai l'air ridicule, Martina?

Je secouai la tête en pinçant les lèvres.

Yoyi m'adressa un coup d'œil signifiant que je ne lui rendais pas service.

- Tu es en train d'essayer de nous convaincre, moi, Maman, Tini et le petit Jésus que, puisque les singes existent, le Bigfoot existe forcément ?
- Oui ! s'exclama l'aîné des Blanco. Ça s'appelle l'évolution, fiston. On ne vous apprend donc rien, à la fac ?
- En fait, intervins-je en m'éclaircissant la voix, il y a toute une théorie sur le chaînon manquant qui concerne les primates.
- J'aime bien cette fille, déclara M. Blanco avec un clin d'œil dans ma direction.
- Tu ne m'aides pas, là, me reprocha Yoyi en grommelant.
- Tout ce que je dis, c'est que si tu étais allé dans les bois et avais entendu les mêmes choses que moi, insista son père, tu croirais toi aussi en l'existence du Bigfoot et du chupacabra.
- Le chupacabra ? (Yoyi en était comme deux ronds de flan.) Oh, allez, Papa.

Mme Blanco hocha le chef avec tendresse.

- Ce sont mes deux hommes. Je suis si fière.

Je souris à pleines dents en buvant une nouvelle gorgée du café qu'elle avait préparé.

- Ils sont vraiment dans leur monde, tous les deux.
- Dans leur monde ? (Elle se leva de table en soupirant et ramassa la tasse vide de son mari.) C'est une drôle de façon de dire qu'ils sont complètement timbrés.
- Hé ! tempêta M. Blanco en pivotant brusquement la tête. Écoute-nous donc, femme.
- Tu vas te prendre mon pied au cul si tu m'appelles femme encore une fois.

Mme Blanco le resservit en café et rapporta le sucre.

- Tu n'auras qu'à me faire un procès.

Yoyi baissa piteusement la tête.

J'étouffai mon rire au creux de ma main.

Sa famille était... formidable. Chaleureuse et affectueuse. Rien à voir avec la mienne. Je n'étais même pas sûre que ma mère sache se servir de la cafetière ou s'abaisse à servir qui que ce soit, même mon père.

Mme Blanco posa la tasse pleine devant son mari.

- Vous n'êtes pas censés aller au drive-in, ce soir ? demanda-t-elle à Yoyi.
- Si, confirma celui-ci en se mettant debout. (Il se pencha pour récupérer nos tickets.) Il faudrait qu'on y aille si on veut trouver de bonnes places.
- Pense à prendre des couvertures épaisses, lui dit sa mère en se rasseyant. Il commence à faire vraiment froid la nuit.

Le jeu de la patienceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant