Chapitre 3 : Mensonges et non-dits

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Le cœur palpitant anormalement vite en cognant douloureusement contre ma cage thoracique comme s'il cherchait à en sortir, les mains moites et, à contrario, la gorge complètement desséchée, je tendais une main fébrile pour me saisir de la photo. Le tout sans relever les yeux. Jamais. Je savais que tôt ou tard il me faudrait affronter le vert de son regard mais à choisir, le plus tard possible serait le mieux. Même si ne pas pouvoir l'observer m'empêchait de lire les émotions présentes sur son visage, les interpréter et agir au mieux selon ma lecture. Je ne pouvais pas anticiper son humeur ce qui ne faisait qu'ajouter à mes angoisses. Angoisses qui me prenaient si puissamment aux tripes que ma colère, pourtant toujours bien enfouie en moi, ne parvenait point à s'exprimer. Inspirant profondément pour retrouver un minimum mon calme, je me raclais la gorge puisque étant peu sûr de ma voix puis ouvrit la bouche dans l'intention évidente de parler mais sans même savoir ce que j'allais bien pouvoir dire.

- C'est pour toi ou une connaissance ?

Tout en me saisissant nerveusement d'un marqueur noir, je me fustigeais mentalement. Vraiment, je n'avais trouvé que ça à dire ? Enfin, au moins mes mots restaient neutres. Idéal pour prendre la température de la conversation à venir.

- Pour moi. Voir Jérémy Ferrari semble difficile ces derniers temps. S'il continue à fuir, ça me fera au moins un souvenir. Sait-on jamais.

A ses mots, je sentis la colère se réveiller en moi et enflammer mes veines telle la lave en fusion d'un volcan endormi et reprenant soudainement vie. Bien. Le ton était donné, la couleur annoncée. Ouverture directe des hostilités. Pas besoin de bien me connaître pour anticiper ma réaction. S'il voulait jouer, on serait deux.

- Rappelle-moi ton prénom. Ça fait si longtemps que j'ai un trou de mémoire, sifflais-je âprement.

Un partout. Balle au centre.

- Arnaud. Tu sais le type que tu as laissé poireauter sur ton palier sans jamais lui ouvrir ?

- Bien sûr, comment ai-je pu oublier ! Un gars insistant. Et si peu subtile qu'il n'a pas compris que je ne voulais pas le voir et s'est pointé à mon spectacle. Comment t'es entré ?

- Il m'a suffi de montrer ma tête et de confirmer que j'étais bien Arnaud Tsamère pour qu'on me laisse l'accès, expliqua-t-il calmement.

- La salle était pleine, il n'y avait pas un siège de libre, affirmais-je, agacé d'apprendre qu'il était entré si facilement même si cela n'avait rien d'étonnant. Tout le monde nous connaissait et savait qu'on était collègues et amis. Pas surprenant qu'on l'ait laissé entrer donc.

- Je me suis calé contre le mur au fond de la salle.

D'où le fait que je ne l'avais pas même aperçu de tout mon spectacle. Le noir le plus complet régnait toujours dans les fonds de salle. Enfin celles assez grandes, celles dans lesquelles je jouais désormais.

- On ne peut plus faire confiance à personne de nos jours. On ouvre vraiment à n'importe qui, cinglais-je.

Il ne répliqua pas cette fois et je m'empressais de finir sa dédicace puis de pousser la photo vers lui.

- Fini. Tu peux y aller maintenant. Je ne te demanderai pas si tu as apprécié le spectacle, après tout je m'en fous.

Je l'entendis distinctement soupirer. D'énervement ou d'ennui je ne sais pas. Je l'ignorais superbement et me saisissait de la bouteille d'eau qui se trouvait à portée de mains, bien décidé à continuer d'ignorer jusqu'à son existence même.

- Jérémy, regarde-moi.

Je portais ma bouteille à mes lèvres pour prendre une longue gorgée d'eau. J'en sentis aussitôt le goût envahir mes papilles. Je jetais un œil à l'étiquette et constatais que ce n'était pas ma marque habituelle. Ça expliquait tout. L'eau n'a pas de saveur normalement, sauf quand on remplace celle dont on a l'habitude par une autre.

Dépendance | ⚠️EN PAUSE⚠️Où les histoires vivent. Découvrez maintenant