Chapitre 23 : Cendres

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Noir. Le noir. Trop de noir. La seule couleur. Ou plutôt l'ultime absence de couleur. La seule teinte présente derrière mes paupières fermement closes. Il suffirait probablement de les ouvrir pour ajouter un peu de couleur à ce tableau désespérément monochromatique. Sauf que je pouvais le sentir. Oui, définitivement, je le sentais. Avec tant de certitude qu'il me donnait presque l'impression qu'en tendant la main, je pourrais le toucher. Le poids de son regard posé sur moi avec une intensité dérangeante. Alors quitte à choisir, je préférais le noir. C'était lâche. Mais tellement plus simple.

- Je sais que tu es réveillé.

Trop simple apparemment. Je refusais toutefois de lui donner raison et demeurait allongé, parfaitement immobile. Je ne pus hélas pas retenir un infime frémissement au son de sa voix. Elle éveillait trop d'images défilant bien malgré moi sous mes paupières toujours closes. Arnaud debout en face de moi. Son souffle chaud et erratique s'échouant sur mon visage. Moi allongé et captif consentant de sa présence alors qu'il me tenait fermement contre lui, me dominant de sa position assise. Je les chassais.

- Ta respiration s'emballe, commenta-t-il simplement pour démontrer ses précédents propos.

Son regard. Son toucher. Sa chaleur. Ses baisers. Son goût. Sa voix. Sa voix me susurrant ces trois mots si inédits. J'ouvris les yeux. Blanc. Le blanc. Trop de blanc aveuglant. Je déviais le regard de mon plafond, ma nuque semblant grincer de protestation dans le mouvement que je fis pour pivoter la tête. Mon regard s'accrocha aussitôt aux deux billes vertes me scrutant avec soin. Si attentivement qu'elles en flirtaient avec l'indécence. Malgré les cernes les ornant et la rougeur présente dans ses yeux, ses prunelles n'avaient visiblement rien perdues de leur pouvoir hypnotique puisque je restais de longues minutes à ne rien faire d'autres que les fixer, prisonnier des remous étranges qui les agitaient. Jusqu'à ce que je parvienne finalement à m'en détacher, prenant alors soin de poser mon regard partout sauf sur lui pour éviter que le phénomène ne se reproduise. Ce n'était pourtant pas à moi d'éviter son regard. Je n'avais rien à me reprocher.

- Merci, déclara sobrement Arnaud.

Ce n'est qu'à l'annonce de ce petit mot que je remarquais la fêlure dans sa voix rauque, bien plus grave qu'à son habitude. Je notais ensuite l'absence de luminosité dans la pièce alors que je n'avais pas fermé les rideaux avant de me coucher dans mon canapé et qu'il était évident, au vu de la lueur perçant leur épaisseur, qu'il faisait jour dehors. Tant de signes me criant la gueule de bois qui devait être celle d'Arnaud à l'instant. C'était même surprenant qu'il ait été debout avant moi. Il faut dire que j'avais du sommeil à rattraper.

- Pourquoi ?

Ma voix encore inutilisée depuis mon réveil dérailla et je me raclais la gorge, grimaçant sous l'inconfort de la manœuvre.

- Tu le sais, répondit-il simplement, sa voix si éraillée provoquant une nouvelle floraison de frémissements courant sur ma peau telle de l'électricité statique.

Bien sûr que je le savais. Après tout ne lui avais-je pas dit hier soir qu'il me remercierait de l'avoir arrêté dans son entreprise ? J'avais eu raison. Et j'aurais préféré avoir tort. Parce que voir ma certitude confirmée était plus douloureux que je ne l'avais imaginer. En plus de me laisser un goût d'amertume teintée de celui plus métallique du sang dans la bouche. J'avais besoin d'un verre d'eau. Je me levais du canapé, direction la cuisine.

- Je suis désolé, me lança Arnaud dans mon dos.

Je me figeais sur place, hésitant. Je ne pus résister à la tentation et tournais mon visage vers lui, mes yeux replongeant dans les siens. Vert. Le vert. Trop de vert. Je m'arrachais de son regard, reprenant ma marche. J'ouvris un tiroir, me saisissant d'un verre avant de le remplir à l'évier. Je portais machinalement l'eau à ma bouche tandis que je percevais le son des pas d'Arnaud derrière moi, me rejoignant.

Dépendance | ⚠️EN PAUSE⚠️Où les histoires vivent. Découvrez maintenant