Chapitre 11 : Néant

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Les mains dans les poches de mon jean, la tête basse fixant mes baskets, je semblais déambuler sereinement dans les rues de Paris. Semblait seulement. Le chemin que j'empruntais ne devait rien au hasard. Sans compter que ma tête fourmillait bien trop d'images et de pensées indésirables pour être sereine. Toutes mes divagations ayant encore et toujours la même obsession. Ou plutôt les mêmes. Arnaud et l'héroïne. Le visage anormalement pâle et défait d'Arnaud semblait gravé devant mes yeux tant je ne pouvais m'en défaire. Et ses mots auraient aussi bien pu être directement déversés dans mes oreilles depuis un I-pod par l'intermédiaire d'écouteurs tant ils me hantaient. Il semblait que son fantôme, ou plutôt sa projection astrale ou je ne sais quoi dans le même genre puisqu'il était bel et bien vivant, venait incessamment me les chuchoter au creux de l'oreille, porté et amplifié par le vent frais de cette nuit voilée.

Je soupirais en me passant une main dans les cheveux pour les repousser en arrière. L'inconvénient des cheveux longs et de la tête basse. En retirant ma main de cette étrange texture capillaire, elle passa devant mes deux sombres pupilles et je ne pus manquer - même avec ma mauvaise foi des plus conséquentes et toute la volonté de déni du monde - les tremblements qui l'agitaient. Les spasmes même. Je serrais le poing, tentant en vain d'endiguer ces derniers. Ça ne faisait qu'empirer depuis que j'avais quitté la fête d'Arnaud, comme si être en présence de mes amis avait réussi à retarder les effets du manque qui me revenaient désormais en pleine face. Ils prenaient même un malsain plaisir à doubler d'intensité comme pour me punir ou bien se venger d'avoir seulement pu songer pouvoir les ignorer. La sensation de manque me faisait clairement savoir que non, on ne pouvait pas l'oublier ou la faire simplement disparaître même en le souhaitant de toutes ses forces et qu'essayer de le faire se payait chèrement.

Je tournais à gauche, m'engageant dans une ruelle un peu plus étroite. Le début d'un labyrinthe dans lequel je m'enfonçais volontairement, à la recherche de mon Graal. A chaque détour, chaque nouvelle passe, je m'enfonçais un peu plus loin dans ce dédale de rues de moins en moins éclairé. Je me livrais à l'obscurité, les ténèbres m'engloutissant un peu plus à chaque nouveau pas en avant. Un sourire douloureux étira mes lèvres desséchées en songeant à quel point mes pensées versaient malgré moi dans l'analogie. Ce n'était pas juste mon corps qui se dirigeait tout droit dans la noirceur sans que je cherche à l'arrêter ou rebrousser chemin. C'était bien plus que ça. Tellement plus. Trop.

Après un temps qui, même avec ma marche rapide, me parut incroyablement long, semblant s'étirer indéfiniment dans le temps, je finis par déboucher sur LA ruelle. Celle de ma délivrance. Ou de mon emprisonnement volontaire et dépendant, ça dépend de comment on voit les choses. Du point de vue. Bien que j'aie parfaitement conscience de la réalité du deuxième, je n'y voyais que le premier. Arnaud en revanche n'y aurait vu que le second. Je secouais la tête pour chasser mes vaines réflexions inutiles. Le manque rendait toujours mon cerveau fébrile et il s'engageait dans d'aussi innombrables qu'innommables chemin de pensées, suivant sa propre logique étrangère à tous, y compris à moi-même. Surtout à moi-même. Je laissais faire toutefois. D'abord parce que je ne pense pas que j'aurais pu arrêter ça, mon cerveau étant toujours en ébullition d'où mes constantes difficultés à trouver le sommeil que l'épuisement mental causé par la drogue résolvait. Une des trop nombreuses excuses justifiant à ma prise de stupéfiants. Ensuite parce que me perdre dans mes pensées permettait ne serait-ce qu'un peu d'omettre le manque.

Je m'avançais un peu plus loin dans l'impasse me faisant face, le bruit de mes chaussures résonnant tel un claquement étrangement fort dans le silence des lieux. Pas un silence paisible ou religieux. Un silence anormal et angoissant, comme dans ses films d'horreur que je détestais tant. Pas parce qu'ils me faisaient trop peur, bien au contraire. Ils me laissaient totalement indifférent. Ils ne devenaient intéressant qu'en les regardant en présence de quelqu'un de terrifié par eux. Ce n'est qu'alors que j'appréciais le spectacle, riant aux larmes en me moquant et taquinant sans vergogne ma pauvre victime tétanisée.

Dépendance | ⚠️EN PAUSE⚠️Où les histoires vivent. Découvrez maintenant