Interlude : Vivre (Première partie)

32 6 7
                                    

J'étais claqué. Vidé. Crevé. Et ce même si je ne suis pas un pneu. Bon d'accord, elle était facile celle-là. Mais comme je le disais à moi-même, parce que oui je discute et m'engueule souvent avec moi-même, d'ailleurs tout le monde devrait le faire c'est très constructif. Bref, j'étais fatigué en fait. Fallait pas trop en demander à mon cerveau. Il fonctionnait au ralenti, pédalant dans la semoule. J'ai jamais compris cette expression, comme beaucoup d'expression de la langue française d'ailleurs. Est-ce que quelqu'un était vraiment allé pédaler avec son vélo dans de la semoule et avait déclaré que oui, ça freinait bel et bien chacun de nos gestes ? Je secouais la tête pour chasser l'interrogation. Mon cerveau divaguait. Encore. Mais ce serait stupide de faire ça n'empêche. Quel serait l'imbécile qui irait faire un truc pareil ? C'était une sacrée perte de temps. Il avait vraiment que ça à foutre ce mec ? Trouve-toi une fille mon gars. Ou mieux, achète-toi une vie. On trouve tout et n'importe quoi sur internet de nos jours. En même temps si personne n'avait confirmée, comment on pouvait affirmer un truc pareil ? Pertinent ça tiens. Ou pas en fait.

Je me disais donc que j'étais épuisé. Éreinté. Exténué. Et tout un tas d'autres synonymes. Vive la richesse de la langue française, mort à la langue de Shakespeare. Le roi est mort, longue vie au roi ! Bon ok, là c'était plus de la fatigue. Enfin je l'espérais. Je veux dire, je n'étais pas encore à ce stade dans mes délires si ? Non, l'alcool devait forcément y être pour quelque chose. Je préférais le penser en tout cas. C'est la réflexion que je me fis en poussant la porte de mon appartement avec le pied, manquant de justesse de me casser la gueule dans l'opération. Ah maladresse quand tu nous tiens ! Mais c'est pas ma faute aussi, j'avais déjà les deux mains prises, occupées par deux sacs super lourds que je rêvais de pouvoir enfin poser par terre. Évidemment j'aurais pu les lâcher, ouvrir la porte puis les récupérer, les poser à nouveau et fermer ma porte. Mais ça n'aurait pas été aussi drôle non ? Trop facile. Trop évident. Je préférais ma technique.

Au prix de laborieux efforts et après avoir encore une fois failli me ronger par terre et embrasser mon parquet, j'atteignis enfin mon canapé où je me laissais tomber en soupirant de bien-être. D'indésirables pensées vinrent toutefois rapidement chasser ma bonne humeur temporaire. Même l'ivresse résultante de la fête de ce soir ne pouvait me distraire de mes inquiétudes. Ne voulant pas y penser, je plongeais ma main dans l'un de mes sacs, y récupérant le premier objet venu. Une montre en l'occurrence. Je l'examinais d'un peu plus près, n'ayant pas vraiment eu le temps de le faire plus tôt. Elle était jolie. Elle devait sûrement valoir une petite fortune et aurait plu à beaucoup de gars mais ce n'était pas vraiment mon style. Trop large et imposante pour mon fin poignet. Trop clinquante aussi. Je ne lui avais pas dit bien sûr. Je ne voulais pas lui faire de la peine.

Une certaine personne de ma connaissance aurait dit que j'étais trop gentil. Pour faire bonne mesure, il aurait enrobé ça d'une remarque des plus agréables du genre « trop bon trop con ». Un compliment à l'égard de mon illustre personne lui aurait probablement arraché la bouche. Je souris brièvement à cette pensée, sachant pertinemment ce qu'il pensait réellement de moi malgré qu'il le cache derrière ses mots sarcastiques qu'il utilisait comme une arme parfaitement ajustée pour ne jamais rater sa cible. Et il ne la ratait effectivement jamais. Il avait l'art et la manière de provoquer sans jamais franchir une limite invisible qu'il semblait pourtant maîtriser à la perfection. Son cerveau affuté maniait les mots comme je l'avais rarement vu et je l'admirais pour ça.

Penser à lui me fit rapidement perdre mon sourire, mes inquiétudes revenant au grand galop - là encore c'est une expression - avec la force d'une voiture lancée à 200 km emboutissant un platane. Hum. J'aurais pu trouver mieux comme comparaison. Alors disons que mes inquiétudes m'obsédaient tellement que je ne pouvais que penser à elles, être inexorablement attiré et entraîné par elles comme mon corps par la force de la gravité. En tout cas il m'était impossible de les dévier de leur trajectoire à savoir mon cerveau. Mes pensées étaient toutes teintées de cette profonde angoisse qui me devenait un peu trop familière depuis quelques jours. Je ne sais pas si je pourrais le supporter longtemps. En fait, si je le savais. Je le supporterai aussi longtemps qu'il le faudra. Parce que je ne le laisserai jamais tomber. L'idée ne m'avait pas même effleuré l'esprit malgré ce que son comportement me faisait subir. Ce n'était juste pas envisageable. Je ne savais pas pourquoi. C'était comme ça et c'est tout. Il n'y avait rien à ajouter. Je n'y cherchais pas la moindre explication de toute façon.

Dépendance | ⚠️EN PAUSE⚠️Où les histoires vivent. Découvrez maintenant