Chapitre 14 : Poison

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Un souffle. Un souffle chaud et régulier me chatouillait la nuque juste derrière l'oreille, faisant se hérisser les cheveux courts sur cette dernière. Je remuais, tentant d'échapper à cette douce torture qui m'avait malgré moi sorti de mon sommeil et m'empêchait d'y retourner. Après maints et maints retournements, j'y parvenais enfin. Trop tard visiblement puisque je fus incapable de me rendormir malgré l'épuisement que je sentais s'attarder dans chacun de mes membres qui, même si j'étais allongé, me paraissaient anormalement lourds et pesants.

Après encore quelques minutes à tenter de faire le vide dans mes pensées, je laissais finalement tombé pour m'avouer vaincu. Je poussais un soupir résigné tout en ouvrant précautionneusement les paupières, ignorant le fait que c'était inutile. Il faisait nuit dehors même si le ciel ne semblait pas aussi obscure qu'il l'aurait dû et aucune lumière artificielle n'émanait de la moindre pièce de mon appartement comme je le constatais en me redressant légèrement. Un nouvel élan d'air chaud me souleva quelques mèches de cheveux, dérangeant leur longueur tout en me provoquant des frissons qui vinrent titiller la peau sensible de ma nuque. Je ne bougeais pas, démuni par cette étrange sensation à la fois si agréable et si dérangeante. Nouvel effleurement, nouveau tressaillement.

Je roulais sur notre lit provisoire qui protesta en grinçant fortement à chacun de mes gestes. Mon canapé, même déplié par les bons soins d'Arnaud pour devenir un lit deux personnes, ne valait certainement pas un bon lit. Y dormir n'était probablement pas l'idée du siècle. D'autant plus en sachant qu'un grand lit confortable mais désespérément vide nous attendais tranquillement dans ma chambre. Arnaud s'y était toutefois refusé. Bien qu'il n'ait rien dit, je l'avais deviné dans sa manière d'éviter par tous les moyens possibles de pénétrer dans ma chambre. Il s'en voulait vraiment d'avoir violer mon refuge et havre de paix.

Je me démenais encore un moment et lorsque je m'arrêtais enfin de bouger, je fis face au visage paisiblement endormi d'Arnaud et sa respiration sereine. La même qui, à chaque exaltation, était venue chatouiller si étrangement ma peau. Profitant de son abandon confiant aux bras de Morphée, je prenais le temps d'étudier son visage. Les deux cernes bleuâtres sous ses yeux venaient contredire l'air paisible sur son visage. Mes insomnies avaient été sienne. Je n'avais pas dû dormir plus d"une à deux heures par nuit ces quatre derniers jours, imposant ce même rythme contraignant à mon fidèle gardien. Il avait à la fois joué le rôle du geôlier en m'empêchant de sortir et de me procurer de la drogue, et de mon bienfaiteur toujours là pour me soutenir alors que je délirais, me perdant quelque part entre les brumes du réel et de l'irréel. Il m'avait soigné quand je m'étais volontairement blessé, m'avait rafraîchi quand la fièvre été devenu trop forte, m'avait donné une épaule pour cacher mes pleurs quand le manque devenait intenable, m'avait offert ses mots en me parlant des heures durant pour me faire oublier la douleur, m'avait laissé dans le silence quand j'en avais ressenti le besoin ne devenant alors qu'une ombre silencieuse toujours à mes côtés.

Il m'avait contraint à supporter tout ça pour me rendre ma si précieuse indépendance que je chérissais depuis sa conquête à l'âge de seize ans. Il s'était contraint à supporter tout ça sans que je ne sache pourquoi. Ça ne lui apportait rien. Je ne connaissais personne qui aurait été prêt à subir tout ça pour rien. Je ne comprenais pas Arnaud et probablement que je ne le comprendrai jamais. C'était d'ailleurs la raison de ma fascination envers sa personne. Je cernais vite les gens habituellement mais lui, il demeurait un énigme. Une énigme si impossible à percer qu'elle me parut soudainement devenir irréelle comme si Arnaud allait finir par disparaître juste devant mes yeux, se disloquant dans le vent pour ne jamais revenir. Cette idée me terrifia et je ressentis le besoin impérieux de vérifier sa matérialité. Sa réalité.

Lentement, je tendis une main aux doigts tremblants dans sa direction. Leur chemin jusqu'à Arnaud me sembla durer une éternité mais je n'accélérais pas ma procession pour autant, une peur sourde et irraisonnée profondément tapie en moi. Quand ma peau toucha la sienne, je frémis et me soustrayait au contact dans la seconde qui suivit. J'étudiais attentivement le visage toujours endormi d'Arnaud et en constatant qu'il n'avait pas eu la moindre réaction, je retentais l'expérience, mes doigts vagabondant sur son visage pour en redéfinir les traits fins et acérés comme sculptés au couteau. Je laissais la pulpe de mes doigts découvrir chaque creux et chaque arrête avec volupté, effleurant à peine sans jamais m'attarder. Ce petit jeu ne prit fin que lorsque Arnaud soupira, expirant l'air avec une telle profondeur qu'il vint briser le rythme jusqu'alors parfaitement régulier de sa respiration. Surpris, je clignais des yeux, me reconnectant difficilement à la réalité du moment.

Dépendance | ⚠️EN PAUSE⚠️Où les histoires vivent. Découvrez maintenant