Émilia

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Je raccompagne Émilia à la petite maison et je la couche dans son lit.
Ce genre de comportement va ternir sa réputation ou la mienne, dans les deux cas je vais devoir faire quelque chose.

Je vais devoir attendre demain matin pour lui parler convenablement.

Courir... courir à perdre haleine, cette fois je ne tombe pas.
Je suis sur un champ de bataille, fusils et canon.
La mort, la misère, la destruction... tout cela est autour de moi.
Puis je le vois, cet homme ombre, je le contemple et il me tend sa main.
« Dois-je le suivre ou courir ? »
Je ne te ferais aucun mal
C'est comme si il avait lu dans mes pensées, et il m'a parlé sans ouvrir la bouche.

Je prends sa main, l'odeur de jasmin s'engouffre dans mes narines.
Et au contact de sa peau froide, un éclair, blanc, aveuglant, je ne vois plus rien. Et...
- Debout monsieur !
La voix de Briggs me fait sursauter.

Je me frotte les yeux, il a ouvert les rideaux, un grand soleil qui ne va pas tarder à devenir pluie.
- par le diable, quelle heure est-il ?
- Monsieur, voyons, dix heures ont déjà sonné, allons monsieur levez-vous !

Je me lève dans un soupire, les servantes nettoient la chambre et je décide de sauter le petit déjeuner, je n'ai pas l'appétit pour manger quoi que ce soit.
Au lavage dans la baignoire, encore heureux que j'ai négocié avec Briggs pour me laver seul, je reste dans l'eau chaude.
Et puis, une odeur me fais tressaillir, je sens une odeur de jasmin, celle de mes rêves.
Cette odeur provient de nulle part, mais elle est là.

Je descends dans le salon, Émilia se remet de sa gueule de bois, des journaux sur la table indique au gros titre : « la chaperonnée de la reine, alcoolique et bourrée » « la disgrâce des Beaumont, la plus jeune sous l'influence du jeune lord ? »

- Par l'enfer, qu'est-ce qu'il t'a pris d'aller te saouler au bar !!
La voix colérique d'Elizabeth résonne dans toute la maison.
- Non mais quelle inconsciente, ingrate ! Oh bonjour mon cher vous allez bien ? Toi tu n'as pas fini d'avoir des remontrances, je te sors de ce trou en France et voilà que tu commences déjà à mettre la pagaille !

- Et voilà que tu parles déjà comme une femme mariée, c'est bien tu fais des progrès pour tes futurs enfants !
Son sarcasme, et son talent de « je n'en ai rien à foutre » me font esquisser un sourire.
- Arh ! Émilia Lucinda Beaumont ! Arrête ton cirque et commence à te comporter comme une lady !
Elle lève les yeux au ciel, et s'excuse auprès de moi pour le bazar journalistique qu'elle a causé.

- Mon cher, c'est à vous de décider de son sort à présent.
- comme punition... pour ton comportement tu passeras une semaine chez le comte Whitewell, tu aideras leur fils Tobias Alexander Barnaby Whitewell aux écuries.
Je fais un clin d'œil à Beth qui se mit à rire

- Quoi ! Non pas les chevaux, encore moins Tobias.
- il est très charmant, il a ton âge...
- il est sans intérêt, aucune conversation, ne sait pas se tenir correctement à table, n'a aucune idée de romantisme ni un seul livre lu à son actif, aucune étude, ne sait jouer d'un instrument ni même faire de l'art.

Elle semble désespérée.
Pendant qu'elle va préparer ses affaires, je raconte mon rêve à Beth.
- Tu as sûrement imaginé cette odeur, je ne sens aucune odeur de Jasmin.
- J'ai l'impression de devenir fou ! J'en rêve en permanence depuis quelques temps.

Et puis une migraine intensément douloureuse s'abat sur moi.
- Milo ? Milo ! Ça va ?
Un orage éclate dehors, la pluie tombe de plus en plus fort.
J'ai l'impression que mon mal de tête s'intensifie en même temps que l'orage.
- Fais chier ! Hurle Beth pour qu'on l'entende.
Beth hurle, le vent souffle et les carreaux tremblent comme si ils allaient lâcher d'un moment à l'autre.
Cette tempête est terrifiante, par la fenêtre nous pouvons voir qu'Emilia a peur, seule et coincée dans la petite maison.

Ma tête tourne, c'est insupportable.
Ce que je vois est étrange, comme si il y avait des « bugs », des objets ultérieurs au années 80, comme des téléphones portables, des téléviseurs modernes.
Ce genre de choses qui apparaissent puis disparaissent, des lampes qui redeviennent des bougies... tout ce chaos qui me donne mal à la tête, m'invite à me poser plus de questions sur la nature de ce monde.

Cet endroit où j'ai vécu quelques jours sans poser de questions, sans m'interroger sur le fait d'être en Angleterre du 18e sans parents avec un nom de famille qui n'est pas le mien, parlant une langue dont je ne comprendrais pas en temps normal.

Le mal de tête passe, l'orage et la pluie aussi.
Tous ces « bugs » disparaissent complètement, je me tourne vers Beth, elle ne semble même pas les avoir remarqué.
- On est où ? Demandai-je fermement
- Chez vous, mon cher, allez-vous bien ?
- mensonge ! Criais-je ; chez moi c'est plus petit, je n'ai pas de servante, je n'ai pas de lit à baldaquin où de tenue ridicule !! Alors pour la dernière fois, dites-moi où sommes-nous ! 

Je suis en colère, elle semble terrifiée.
- euh... En Angleterre ; elle essayait tant bien que mal de me répondre.
- Donc on parle anglais ? Non parce que je ne sais pas parler anglais !!

Elle est confuse.
- Mon ami, vous avez pris un coup sur la tête ?
- Regardez ce canapé vert, chez moi il est bleu !
- Voyez, votre canapé est bleu...

Je regarde plus attentivement le canapé, celui-ci avait bien changé en bleu.
- ce n'est pas normal !!
Je sors de la maison en furie et me dirige vers la forêt, je me rapproche du lac.

Je plonge dans les eaux froides et je décide de me laisser couler.
Le silence de l'eau qui me submerge est reposant, et apaise ma colère.
De l'eau entre dans mes poumons, mon corps se débat pour remonter mais rien n'y fait je reste au fond du lac.
Je me bats pour avoir de l'air.
Je m'agite.
Puis... le calme plat.
Sans le savoir, mon corps est mort, l'esprit lui est resté.

Mon corps est comme en mode veille, mes yeux se ferment et j'attends. J'imagine que mon heure est venue.
Soudain quelque chose me pousse vers le haut, est-ce le paradis qui m'appelle ?
Je sens une douce chaleur, cette chaleur que vous retrouvez les rudes soirées d'hiver, ces chaleurs réconfortantes.

Jusqu'à ce que la mort nous sépare Où les histoires vivent. Découvrez maintenant