J'ai pour règle de ne jamais avoir de regrets. Ce qui est fait est fait et regretter n'y changera rien. Et pourtant, en ce moment précis, une pointe de regret traverse mon cœur et s'y plante sans que je puisse l'enlever.
Notre plan marche comme prévu. Être capturée par les Fiamme Arancioni, mafia alliée aux Artigli Rossi, lors d'une pseudo embuscade durant un de leur échange d'armes pour qu'ils ne se doutent de rien et ne voient pas nos soldats entrer en Sicile. Me faire passer pour un soldat anodin et inconscient. Survivre en attendant que les hommes de mon frère encerclent les Fiamme et qu'un marché plus avantageux que ce que les Rossi leur offraient soit proposé. Et une fois fait, avant que nos ennemis l'apprennent, faire venir le fils de Don Luciano, Lisandro, au sein de ce qu'il pense être encore sa base alliée.
Peu de personnes sont au courant mais notre plan a commencé à se dérouler il y a dix jours. Le nouveau parrain des Fiamme n'est pas monté à la tête de sa mafia sans que l'ancien n'ait à mourir. Et bien qu'on ne l'ait revendiqué pour nous ouvrir une porte que nous venons aujourd'hui de passer, c'est bien les Nero Cuerestra qui ont tué l'ancien parrain.
Nous comptions sur cet argument pour montrer aux Fiamme que leur mafia alliée ne les protégeait pas si bien que ça si leur parrain avait réussi à être tué aussi facilement.
Et une fois que le doute se faufile, on s'y joint avec. On sème le questionnement et on propose des réponses. Et les réponses ici sont : Les Cuerestra peuvent mieux vous protéger que les Rossi. Ne dites rien encore à ces derniers, faites venir le benjamin Moretti, laissez-nous le capturer, et notre alliance sera scellée.
Et tout a marché. Je me trouve actuellement dans un bureau avec Orso sur un écran de télévision qui est en train de discuter avec le nouveau parrain des Fiamme, Don Leonardo, pour conclure notre alliance. Diego ainsi que plusieurs de nos soldats sont dans un coin. Et surtout Lisandro Moretti, est maintenu par deux hommes et ne peut s'échapper.
Cette vision me réjouit. Et elle devrait le faire encore plus que ce que je ressens. Mais mon bonheur est entaché par le goût amer de la trahison que doit ressentir Alec face à ce qui se déroule. Et c'est là qu'entre mon regret. Je regrette qu'il soit impliqué dans tout ça. Parce que cet homme m'a sauvée et bien que je me sois réfugiée derrière mon air de glace et mes répliques cinglantes, je ne prends pas ses actions à la légère.
Actuellement, sans Alec, je ne serais plus grand chose. Sûrement vide de tout, de ma dignité à mon envie de me relever. Quelque part dans une cave, par terre, seule, après le passage de plusieurs hommes dont je souhaite la mort. Entre la vie et la mort en priant pour que cette dernière me prenne.
Je sais être forte mais je sais que me relever de cette épreuve aurait demandé des forces considérables que je ne suis pas certaine d'avoir. Une façade, c'est facile à maintenir. Une illusion également. Mais la destruction intérieure m'aurait mis plus bas que terre.
Et grâce à lui, je n'en suis pas là. J'ai été sauvée. C'est terrifiant de devoir compter sur quelqu'un d'autre pour nous sortir d'une situation. De mettre sa vie entre d'autres mains que les nôtres et de voir que cette personne nous sauve réellement. Nous soigne. Nous nourrit. Nous protège.
J'ai une énorme dette envers l'homme qui m'a sauvé la vie et que je viens de trahir de la pire des manières. Non, je ne regrette pas d'avoir capturé son frère. Jamais. Le meurtrier de mes frères et de ma mère mérite la mort. La plus douloureuse et lente qui soit.
Mais je me doute aussi qu'Alec ne va pas s'en sortir si facilement. C'est un Moretti et il s'est échappé une fois de notre domaine, je doute de la clémence de mon frère sur son sort.
— Che ci fai qui, amico ? lance ce dernier, l'incompréhension visible sur son visage.
(*Qu'est-ce que tu fais ici, bonhomme ?)
Lisandro tourne sa tête, surpris d'entendre la voix de son frère. Et moi, je découvre enfin, en vrai, le visage du meurtrier de ma famille. Mes poings se serrent face à ces traits qui paraissent innocents mais qui pourtant ont été la dernière vision de mes proches. Je ne sais pas exactement comment se sont déroulées les actions, seulement que le meurtre d'Amos a eu lieu plusieurs mois avant celui de Lino et de ma mère, lors d'une embuscade. Lino et ma mère, eux, sont morts à domicile. Amos avait dix sept ans lorsque Lisandro l'a tué. Lino en avait six et ma mère est morte en tentant de le protéger. J'étais présente sur notre domaine mais j'ai raté le fils Moretti. Je suis arrivée alors que ma mère poussait ses derniers soupirs avec Lino, déjà décédé, dans ses bras.
Un an et demi depuis leur décès, presque deux depuis celui d'Amos et pourtant leur perte me brûle encore l'âme. Me détruit cœur et corps. Il mérite bien pire.
En revoyant leurs visages flotter autour de la tête de Lisandro, j'avance, muée par ma vengeance. Je veux venger leurs morts, rendre honneur à leurs départs.
Je fais à peine quelques pas, avant de sentir une main sur mon épaule qui me rappelle à la réalité. Je tourne les yeux et croise le regard torturé de Diego. Lui aussi a perdu son père à cause de Lisandro. Luca, ancien et premier consigliere de mon père, a trouvé la mort aux côtés d'Amos lors de la même embuscade. Une opération qui devait se passer sans accroche. Un simple échange d'argent avec une de nos mafias alliées. Jusqu'à ce que les Rossi leur tombe dessus, tourne la rencontre en carnage et nous déclare la guerre.
— Pas maintenant, Iris, me murmure Diego.
Je prends une inspiration et m'accroche à son regard quelques secondes pour me recentrer. Ses yeux bruns que je connais depuis toujours viennent souffler sur ce qui brûle et je reprends mon calme. Je lis sa douleur, sœur de la mienne, et je hoche la tête. Il incline la sienne et je tourne mes yeux pour observer de nouveau ce qu'il se passe dans le bureau.
Lisandro fixe toujours son frère et moi, j'évite de trop m'attarder sur le meurtrier. Alec semble perdu et il me jette un regard sévère qui me fait retenir une grimace.
— Qu'est-ce qu'il fait ici ? Et attaché ? Demande-t-il à Don Leonardo, le parrain des Fiamme.
Ce dernier s'approche légèrement sous le regard digital d'Orso.
— Ce n'est pas contre toi, amico mio, mais les affaires sont les affaires et les sentiments n'ont pas leur place à l'intérieur.
(*mon ami)
Alec fronce une nouvelle fois les sourcils et je détourne mon regard de lui, ne supportant pas son air perdu. Je ne trahis pas sans réfléchir. Je trahis mes ennemis, ceux qui trichent, ceux qui le méritent. Et lui, à l'heure actuelle, ne rentre dans aucune de ces catégories. On ne choisit pas sa famille, on ne commande pas les actions de son père ou de son frère. Il ne mérite pas ce qui l'attend. J'ai eu le temps de discerner le vrai du faux chez lui. Et sous les couches que son père lui a forgées, il a un cœur. Il a de l'humanité. Il a réussi à échapper aux griffes de son géniteur pour préserver le bon qu'il lui restait. Et la Iris qui a un cœur, est sensible à ça.
— Bien, se racle la gorge Orso. Je vois qu'on est tous réunis et que mon capo ainsi que la fille sont en vie.
— Comme promis, répond Don Leonardo.
Je sers les dents, me retenant de balancer que sans Alec, on ne tiendrait pas le même discours.
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MAFIA : AMAREZZA
ActionEn Italie, les mafias 𝙉𝙚𝙧𝙤 𝘾𝙪𝙚𝙧𝙚𝙨𝙩𝙧𝙖 et 𝘼𝙧𝙩𝙞𝙜𝙡𝙞 𝙍𝙤𝙨𝙨𝙞 sont en conflits depuis la nuit des temps. Lorsque cette dernière porte un coup fatal à la famille adverse, elle déclenche une guerre encore plus sanglante entre les deux...