XIV

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Le dortoir était silencieux, plus que d'habitude tout du moins car seuls les ronflements de Ron et les baragouinages étouffés de Seamus se faisaient entendre. Si Harry n'avait pas installé un sort isolant autour de lui, un bruit incessant de grattement aurait pu s'y ajouter, et le noir profond dans lequel était plongé la pièce aurait pu être coupé par la faible luminosité qu'émettait sa baguette.

Il ne savait pas quelle heure il était. Tard certainement, puisqu'il n'était revenu du bureau de Rogue qu'aux environs de vingt-trois heures après la prétendue retenue qu'il avait eue. Il s'était couché, ou plutôt simplement allongé encore habillé sur son lit et n'avait pas bougé depuis.

Son regard fixé sur un point inexistant de la tenture de son couchage, il s'était attrapé le poignet, qui le démangeait tellement, et n'avait pu s'empêcher de se gratter, alors qu'il ruminait ce qu'il avait appris ce soir.

Le temps, de sa lenteur insupportable, s'était écoulé rapidement, si rapidement que les vacances de Noël commençaient dans deux jours.

Alors, quand Harry était tombé nez à nez avec son professeur de défense au détour d'un couloir et que celui-ci avait pris son air mauvais pour le mettre en retenue, il avait pensé qu'il voulait lui annoncer que la potion était finalement prête et indiscernable, avant de se rappeler qu'ils avaient prévu une réunion le lendemain pour finaliser et confirmer leur plan.

Quand il était arrivé, il avait trouvé son professeur marchant en rond dans son bureau, l'air confus, perdu mais aussi perplexe, et il n'avait pas osé l'interrompre dans sa réflexion, attendant simplement à côté de la porte.

Finalement, il n'avait pas eu à patienter bien longtemps: rapidement, Rogue avait relevé la tête, suivant le cours de ses pensées, et l'avait remarqué, l'invitant à s'installer.

Le début de la conversation avait été hésitant, comme à chaque fois que l'homme souhaitait évoquer le souvenir de Lily, comme à chaque fois qu'il se rappelait ce qu'il avait fait subir à Harry pour sa seule ressemblance physique avec James. Ils avaient échangé timidement un moment puis Severus avait inspiré et expiré fortement avant de se lancer.

"Tu sais que je souffre de troubles de la mémoire liés au sort dont vous m'avez libéré, n'est-ce pas ?"

Harry avait hoché la tête. Oui, il le savait ; après tout, ils en avaient déjà parler et  le contrecoup était précisé dans le livre qu'ils avaient utilisé pour déterminer le contre-sort: puisque le sort agissait sur les souvenirs afin de renforcer l'emprise qu'il exerçait, l'annuler provoquait inéluctablement des problèmes de mémoire.

"Mes souvenirs avec Lily sont assez clairs jusqu'à la cinquième année et jusqu'à présent, les seuls qu'il me restait suivant cette année-là étaient ceux de disputes, puis de son pardon et quelques poussières de moments ensembles... Ainsi que celui de sa..." 

Il secoua la tête.

"Du trente-et-un octobre."

Harry n'avait pas manqué le silence qui avait coupé ses paroles mais avait préféré se concentrer sur le reste. Il savait ce à quoi se rapportait la cinquième année: poussé par l'humiliation maraudesque, son professeur alors encore enfant avait insulté le sang de sa mère, remettant ainsi en cause sa légitimité à pratiquer la magie. D'après tout ce qu'il avait entendu depuis qu'il connaissait l'incident, Lily avait par la suite mis un point d'honneur à ignorer complètement celui qui avait été son meilleur ami et confident, avant de le pardonner pour une raison qui leur était inconnue.

"Il semblerait que nous ayons continué à nous voir après Poudlard. Nous n'étions jamais seuls et toujours penchés au dessus de parchemins, de livres, de dessins. Ma mémoire est floue mais les éclats qui me reviennent sont forcément plus récents."

Harry mentirait en disant qu'il n'avait pas été traversé par un éclair d'espoir au mot "récent", un éclair d'espoir que l'homme face à lui fît référence à des événements ne datant pas de quinze ans ou plus, un éclair d'espoir qui disparut quand revinrent le hanter le cri angoissant et le flash vert qui habitaient déjà ses nuits.

Par la suite, ils avaient analysé ensemble les souvenirs fugaces, essayant de donner un vague ordre à ce mélange décousu, s'aidant de détails minimes auxquels ils avaient accès. Des cheveux plus longs, plus courts. Et ils avaient été certains d'une chose: pour que Severus parvienne à recoller les morceaux de ses souvenirs, il fallait qu'il trouve qui étaient les deux jeunes hommes bruns qui les accompagnaient régulièrement, lui et Lily, dans ces réminiscences.

Le temps avait défilé et il avait rapidement commencé à se faire tard alors, à contre-cœur, Rogue avait renvoyé Harry dans son dortoir, voulant privilégier sa santé et son sommeil sur la recherche d'informations.

Bien que sachant pertinemment qu'il ne parviendrait pas à dormir, l'adolescent avait quand même accepté sans rechigner, grappillant ces quelques morceaux d'affection que son professeur essayait de lui adresser, sans doute pour compenser les années où il l'avait considéré comme son bouc-émissaire.

Harry avait été seul sur le chemin du retour, seul à traverser la salle commune et il était à présent seul avec ses pensées.

Comme il l'avait prévu, le marchand de sable ne passa pas, le laissant se gratter jusqu'au sang, et il ne dormit pas de la nuit, tout comme il ne dormit pas les deux nuits suivantes.

Lorsqu'il prit place dans le Poudlard express aux côtés de Ron et de Hermione, il n'était pas le seul à avoir le visage marqué de cernes, signes de fatigue, de stress ou d'angoisses plis profondes.

Harry remarqua que Ron sifflotait en boucle l'hymne des Canons de Chudley comme à chaque fois qu'il était sous pression, que Hermione relisait pour la énième fois la même page comme à chaque fois qu'elle cherchait une réponse qu'elle ne parvenait pas à trouver.

Il avait aussi remarqué, en passant devant le compartiment occupé par les Serpentards, les cheveux anormalement bouclés de Pansy qui avait dû passer un moment sous la douche à essayer d'évacuer la pression, la jambe tressaillante de Blaise qui semblait compter la mesure de son cœur, le carnet sur les genoux de Théo qui l'ouvrait pour le refermer immédiatement après, le bandage autour de l'avant-bras de Draco qui ne devait plus sentir son membre pour avoir trop serré le tissu cachant sa marque.

Il le savait pertinemment, et tous ces petits détails le lui rappelaient: à partir de maintenant, ils ne devaient pas faire d'erreurs.

Et il savait également que cela commençait par avoir l'air normal. Aussi, lorsque Cho passa devant leur compartiment et, en tournant la tête, le remarqua et le salua d'un signe de la main et d'un sourire, il annonça à Ron et Hermione qu'il sortait prendre l'air quelques minutes et les laissa seuls en rejoignant la Serdaigle.

Il passa un bon tiers du trajet en sa compagnie, heureux de pouvoir se libérer l'esprit en discutant des sujets légers. En la laissant pour retourner dans son compartiment, lui souhaitant au passage de bonnes fêtes, il ne s'attendit pas à ce qu'elle lui attrape le poignet pour le forcer à le regarder dans les yeux.

"Harry, je ne sais pas ce qui te préoccupe en ce moment et je ne sais pas si tu nous considères suffisamment proches pour m'en parler, mais, si tu as besoin de quoi que ce soit, n'hésite pas à m'en parler. Je ne suis pas certaine que je pourrais à cent pour cent t'aider, mais je peux au moins écouter", déclara-t-elle.


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⏰ Dernière mise à jour : Jul 02 ⏰

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