Chapitre III

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Tout avait commencé par un bel après-midi de novembre. Il faisait doux. Il n'avait pas plu depuis quelques jours, et les rayons du soleil filtraient à travers les nuages. Cette météo donnait presque l'impression qu'on était au printemps. En somme, tout avait commencé un jour étrange, annonçant déjà les années à venir.

Thaïa s'était levée très tôt, trop tôt. Elle avait la boule au ventre. Elle ne savait pas comment s'en défaire, et quelque part elle ne savait pas si elle le devait. Après tout, être stressé pour son premier jour de travail dans une grosse entreprise, dans la plus grosse entreprise au monde même, n'était-ce pas un peu normal ? Enfin, elle ne commencerait réellement que le lendemain. Cet après-midi-là, une simple réunion était programmée. Rencontre, information, distribution des emplois du temps, elle savait déjà comment tout cela allait se passer. Ça ne l'empêchait pas d'avoir de plus en plus mal au ventre, au fur et à mesure que l'heure approchait.

La réunion commençant à quatorze heures, elle décida de partir vers midi. Thaïa comptait une bonne heure de trajet entre son appartement et son nouveau lieu de travail. Ensuite, il lui faudrait bien une trentaine de minutes avant d'entrer dans les locaux. Cela lui laissait le temps de se repérer, de trouver la salle et peut-être même d'engager la conversation avec les autres nouveaux. Son père lui avait dit qu'ils seraient une douzaine, tous engagés à la sortie de leurs études dans les meilleures universités au monde. Ils avaient les meilleurs résultats et l'avenir le plus prometteur.

— C'est vous, l'avenir de la recherche, lui avait-il dit un soir après un repas. Je suis fier que tu en fasses partie, Thaïa.

Son père n'était pas prolixe en sentiments, d'habitude. Il avait un peu bu ce soir-là, et l'alcool déliait la langue, c'était bien connu. Thaïa ne savait pas bien quoi penser de cette déclaration, mais elle choisit de la conserver et de la considérer comme un compliment. Après tout, elle était diplômée de la plus grande université de la région ! Et elle allait suivre les pas de son père ! Il ne pouvait pas être plus fier que ça, si ?

Dans le bus qui la conduisait à son nouveau lieu de travail, Thaïa regardait par la fenêtre. Elle ne voulait pas marcher et risquer d'arriver en sueur, pas le premier jour. Sous ses yeux défilaient les immeubles et les gens, le temps semblait à l'arrêt – ou plutôt, elle semblait avoir mis avance rapide, son regard n'avait pas le temps de se fixer sur un objet précis. Elle avait bien entraperçu cette femme aux cheveux rouges qui lui arrivaient sous les fesses, et cette personne aux oreilles pointues comme celles d'un chat qui arrosait les plantes sur son petit balcon tout blanc.

Thaïa se fit alors une réflexion. Tout était blanc ici. Était-ce partout pareil ? Est-ce que chaque région avait sa couleur ? Elle avait toujours connu le blanc – bâtiments blancs, vêtements blancs, meubles blancs, sourires blancs. Les seules taches de couleur dans cet environnement résidaient dans les gens, les plantes et les véhicules. Thaïa avait presque l'impression d'avoir grandi dans une feuille de papier qu'on n'aurait pas fini de colorier, un dessin d'enfant avorté. Ailleurs, le dessin était peut-être complété. Ou bien, la feuille était d'une autre couleur que ce blanc limpide, lumineux et qui, parfois, pouvait faire un peu peur. Oui, peut-être qu'ailleurs on ne vivait pas dans un environnement désaffecté, mais dans un univers coloré.

Après le bus, vint le métro. S'enfoncer dans les entrailles de la terre n'était pas la chose la plus rassurante pour Thaïa, un peu claustrophobe. Au moins, penser à cette peur d'être enfermée l'empêchait de se triturer l'esprit à propos de ce qui se passerait dans quelques petites heures. Le décompte s'intensifia dans un coin de sa tête. Il ne restait plus qu'une heure trente avant le début de la réunion.

Malgré sa volonté de faire tout le trajet en transports en commun, Thaïa dû bien se rendre à l'évidence que la marche à pied était plus ou moins inévitable ; surtout lorsque le bus qu'elle devait prendre lui passa sous le nez, en trombe, comme s'il ne voulait pas d'elle. Sur le coup, la jeune femme eut envie de se laisser choir sur le banc et pleurer. Elle sentit les larmes prêtes à déborder de ses yeux, rivière trop pleine menaçant de sortir de son lit. Elle ravala sa colère et sa déception, car, oui, elle était déçue d'elle-même. Il aurait juste fallu qu'elle court en sortant du métro, quelques mètres auraient suffi... Mais non, elle ne l'avait pas fait, préférant prendre les escalators pour ne pas suer, pour ne pas avoir d'auréoles sous les aisselles, aisselles dissimulées sous un boléro qu'elle ne souhaitait pas enlever de sitôt. Tout ça, pour rien ! Oui, c'était plus que décevant, mais elle ne devait pas s'attarder sur ce sentiment négatif. Une nouvelle aventure commençait, non ? Et seulement le bon, le bonheur, et la réussite seraient à la clé ! Elle en était sûre : à partir de maintenant, de cet instant précis devant l'abribus, il ne pouvait plus rien lui arriver de mal. Sa vie allait prendre un véritable tournant, et tout allait se passer pour le mieux.

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