Chapitre IX

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Les premières semaines de Thaïa au CMT passèrent à une vitesse folle. Les fêtes de fin d'année approchant, les demandes se multipliaient. Certains souhaitaient être les plus beaux, d'autres les plus extravagants, et une petite partie des Modifiés voulaient être absolument méconnaissables lorsqu'ils reverraient leurs familles – même si cela impliquait d'avoir des oreilles de félin ou une langue de serpent. Avoir une langue de vipère n'était plus seulement une expression dans le monde de Thaïa Dinh.

Pour répondre à toutes ces demandes, et surtout pour proposer de nouvelles Modifications qui seraient en promotion quelques jours avant les fêtes – cadeau idéal pour les retardataires ou ceux en manque d'idées – le CMT comptait sur ses généticiens et techniciens en tout genre. Les médecins du Centre avaient de nombreuses missions : ils devaient non seulement collaborer avec le pôle technique afin de combiner transformation génétique et internet, mais ils avaient surtout la lourde responsabilité de vérifier, par des tests tout aussi complexes et longs les uns que les autres, que toutes les Modifications pouvaient être faites et téléchargées sans danger.

Si les journées étaient éreintantes, Thaïa n'en retirait pas moins une immense satisfaction. Elle avait l'impression de faire quelque chose d'important.

Cette année, la Modification la plus attendue et la plus promue par le CMT ne permettait pas moins que de faire apparaître des taches de rousseur sur le visage et partout sur le corps. Demandée, ou plutôt réclamée, par les utilisateurs depuis des années, le CMT avait dû en reculer la sortie à de nombreuses reprises. Les tests n'étaient pas concluant, et seuls quelques motifs fonctionnaient correctement. Thaïa travaillait sur ce projet depuis son arrivée, supervisée par le docteur An Banh. Elle avait déjà tant appris aux côtés de cette petite femme ! Bientôt, grâce au travail acharné de leur équipe, les Modifiés pourraient eux-mêmes imaginer les taches de son qui leur feraient plaisir. Et ce n'était pas une mince affaire ! Tout était à penser, vérifier et tester : les formes, les couleurs, les associations. Il fallait travailler avec la fluctuation du grain de la peau, gérer les possibles contacts entre Modifications et vérifier que l'ajout d'une mouche sur la narine droite n'empêcherait pas l'apparition des grains de beauté sur l'arrête du nez.

Après environ trois semaines de travail pour Thaïa, et des mois pour les autres, voire des années, il n'y avait plus qu'à faire les derniers tests : ceux sur des Modifiés volontaires. Le recrutement fait en amont avait permis de sélectionner une douzaine de participants. Un lundi matin, alors qu'ils attendaient le feu vert de la direction pour faire les tests sur autre chose que des logiciels informatiques depuis une semaine, Thaïa arriva au bureau et sa responsable lui refourgua une pile de documents.

— Ils sont tous arrivés, lui apprit-elle sans spécifier qui était ce « Ils ». Fais-leur signer ces décharges, on commence la dernière phase aujourd'hui.

Mai An Banh était toujours directe. Elle n'aimait pas passer par quatre chemins, elle considérait cela comme étant à la fois inutile, une perte de temps énorme et surtout complètement bête. Pourquoi tourner trois fois à droite quand on peut tourner une fois à gauche ?

— Je m'en occupe tout de suite.

Thaïa admirait le docteur An Banh. Comme une petite fille à qui on demanderait ce qu'elle souhaite faire plus tard, Thaïa rêvait de devenir « comme Mai An Banh ». Un mois après son arrivée au CMT, ce sentiment ne s'était pas éteint ; au contraire, il s'intensifiait.

Voyant que sa nouvelle recrue ne bougeait pas d'un poil, Mai An Banh fit claquer sa langue sur son palais.

— Allez, on ne traîne pas, Thaïa. On doit clore les tests avant la semaine prochaine si on veut sortir la Modification pour le 20.

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