Chapitre V

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Le juge Varela posa les coudes sur la tablette devant lui et joignit ses mains. Il sentait que la journée allait être longue. Et il ne fallait pas lui parler de la semaine, voire des semaines, à venir...

Devant lui, Thaïa Dinh se tenait droite avec son collant effilé et son blazer vert qui n'arrêtait pas de se rabattre sur sa poitrine. Elle prenait cet air décidé que tous lui connaissaient. Elle faisait cette tête que tout le monde lui avait vu au moins une fois. Celle qui impressionnait. Celle qui inspirait confiance. Celle qui faisait peur aux enfants.

Anthony Varela avait grandi et étudié avant l'écroulement du monde. Il avait commencé à travailler dans un tribunal quelques mois à peine avant que Thaïa fisse ses premiers pas au Centre des Modifications Téléchargeables. Ils avaient à peu près le même âge. Pour Varela, être le juge de cette affaire était un honneur ; mais c'était aussi la source d'un profond trouble. Non, il fallait dire les mots : Anthony Varela avait la trouille.

Il n'avait pas peur de Thaïa. Ce petit bout de femme ne l'inquiétait pas, il ne se faisait pas avoir par cette tête sérieuse dans laquelle se cachait un cerveau tournant à plein régime. Ce qui lui faisait peur, une peur viscérale, c'était l'issue du jugement. Il n'allait pas avoir le dernier mot, jamais dans ce genre d'affaire. Il devrait laisser un tas de jurés qui ne connaissaient rien à la justice et à son fonctionnement prendre les décisions. Il devrait affronter les journalistes et tous les médias. Il devrait s'effacer – et Anthony Varela n'était certainement pas du genre à s'effacer. Sa forte personnalité avait toujours été un point important de la personne qu'il était. Il pouvait crier un peu fort, aboyer comme un de ces gros chiens, mais au fond il était doux comme un agneau, respectueux, aimant.

En réalité, ce dont il avait le plus peur, c'était que toute cette histoire ne retomba sur sa petite famille. Ses deux fils, 4 et 8 ans, sa fille d'à peine quelques mois, et surtout sa femme, sa Gladys, ne méritaient pas de souffrir à cause de son travail et d'un procès dont l'issue ne satisferait personne.

Un procès... Quel mot. Varela commençait à le détester. Il savait pertinemment que ce n'était pas plus un procès qu'une série télévisée donc chacun attendait l'épisode suivant avec hâte. Aujourd'hui n'était que le premier épisode, un crash-test. Varela en avait conscience.

Le juge manqua de laisser sa voix se briser alors qu'il énumérait les motifs pour lesquels la prévenue se trouvait devant eux en ce jour. Il eût une pensée pour toutes ces vies anéanties, ces familles brisées, ces individus uniques et exceptionnels perdus à jamais.

— Caroline Haan. Yin Hajan. Grégoire Hamilton...

Les noms se succédaient. S'ils semblaient plus ou moins la laisser indifférente, un seul sembla retenir l'attention de Thaïa Dinh. Le visage de la prévenue perdit toutes ses couleurs d'un seul coup. Elle était blanche comme un linge. Ça n'était pas passé inaperçu aux yeux de la défense, ni à ceux des jurés, et surtout pas à ceux du juge Varela.

— Cillian Harmann.

Une fois tous les noms dits, le juge relayé par un subalterne à partir de la lettre J, et tous les motifs retenus contre Thaïa Dinh rappelés à la cour, il était temps de lancer le premier épisode de la série.

Le plus grand procès de tous les temps pouvait enfin commencer. 

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