La salle était bondée, tous les sièges occupés. Si l'extérieur était sombre, il faisait au contraire très clair à l'intérieur. Ils ne se trouvaient donc pas dans les Enfers souterrains... La femme n'aurait pas droit à un fidèle guide, tel Virgile, pour lui faire découvrir les neuf cercles infernaux et leurs habitants, avant de remonter vers la surface. Non, elle ne suivait pas les préceptes de La Divine Comédie dantesque : elle commençait par le deuxième livre, le Purgatoire, et elle n'aurait certainement pas droit au dernier volume paradisiaque...
Devant les gigantesques portes de la salle, finement sculptées de fleurs et de raisins, quatre colosses montaient la garde. Les chaises de bois, vieillies par le temps et les fessiers qui s'étaient posés dessus, grinçaient au moindre mouvement. Les gens s'impatientaient. Il y avait comme de l'électricité dans l'air, une tension palpable traversait la bonne centaine de personnes qui se trouvait là. La femme, elle aussi, n'arrêtait pas de bouger. Elle n'était pas à l'aise, cherchait une position confortable sur cette assise abîmée dont elle sentait un clou mordre sa jupe et effiler son collant. Dès qu'elle se lèverait et s'avancerait, on se moquerait d'elle, de son collant abîmé, de sa jupe trouée... Monstre ridicule.
Elle dissimula ses bras sous la table. Elle se mit à frotter ses poignets dans les paumes de ses mains, comme si elle sentait déjà les entraves. Parce que, oui, elle le sentait, entraves il y aurait. Elle ne pourrait pas y échapper.
— Levez-vous.
Elle obtempéra, à l'image de tous ceux qui se trouvaient dans la pièce. Elle sentit les fils de ce fichu collant s'enrouler amoureusement autour du clou. Elle retint un soupir.
Un homme entra. Habillé d'une longue robe noire et d'un air sérieux, il inspirait le respect. Il traversa l'allée de bout en bout en quelques instants à peine ; on avait l'impression qu'il volait. D'autres personnes entrèrent dans la pièce par une petite porte dérobée sur le côté. Ils s'installèrent.
La femme déglutit. L'homme tritura son petit dossier cartonné. Il semblait s'y accrocher comme si ça allait le sauver. Mais le sauver de quoi ? L'homme et la femme étaient comme deux apprentis marins qui auraient pris un bateau pour l'emmener en haute-mer. Ils ne savaient plus comment rentrer, et bientôt un orage se déclencherait et déchainerait les eaux. Ils allaient couler, et rien ne les empêcherait de se noyer – surtout pas un petit dossier cartonné...
Ensuite, tout s'enchaina très vite. L'homme en robe noire parla. Haut et fort, il rappela à tous les raisons de leur présence ici aujourd'hui, et les jours à venir. Peut-être seraient-ils là des semaines entières.
Quelqu'un toussa.
Puis il releva ce qui s'était passé quelques minutes auparavant, alors qu'elle, la femme, montait les marches devant le bâtiment. Qui pouvait bien utiliser des pétards ? Comment les forces de l'ordre avaient-elles fait pour laisser passer ça ? Trois mots : irrespect, bêtise et inconscience.
Et finalement... Ce fut l'heure.
Le silence lourd et pesant empêcha la femme de bouger. Un étau lui serrait le cœur et les poumons, elle ne pouvait plus respirer. Était-ce ça, l'angoisse, un sentiment si fort qu'il vous empêche d'entendre, de voir, de comprendre, de vivre ? Ou bien était-ce une nouvelle fois l'instinct de survie, une thanatose, comme ces lézards qui font semblant d'être morts pour tromper leurs potentiels assassins ? Ni l'un ni l'autre, ou plutôt, sûrement un mélange des deux.
— Avancez jusqu'à la barre, répéta l'homme en noir.
Un juge, c'était un juge. Son cerveau se reconnecta soudain à la réalité des faits. Elle n'était pas qu'une femme dans une pièce étrange, dans un bâtiment inconnu. Non, elle était aussi une criminelle, une accusée, un monstre. Elle, un monstre ? Pourtant, elle avait tout fait, absolument tout, pour ne pas le devenir. Elle n'était pas le méchant de l'histoire, mais personne ne la croyait. Elle savait bien qu'aujourd'hui ne changerait pas grand-chose... Que pourrait-elle dire de plus pour se défendre ? Son histoire ne semblait jamais suffire...
Elle se leva enfin. Tant pis pour le collant, tant pis pour la jupe. Qu'elle fût ridicule ou monstrueuse ne changeait rien à ce que l'on penserait d'elle. Alors, elle s'avança, la tête haute, l'esprit embrumé.
L'air sévère du juge s'était encore amplifié. Il commençait à faire peur.
— Madame Thaïa Dinh, connaissez-vous les faits retenus contre vous ?
C'était elle, Thaïa Dinh. Elle hocha la tête.
— J'ai besoin de vous l'entendre dire, madame Dinh. Avez-vous connaissance des faits retenus contre vous ? répéta-t-il.
— Oui, acquiesça-t-elle.
Bien sûr qu'elle connaissait les motifs de son accusation. Criminelle, monstre, assassin. On lui avait collé tous les adjectifs possibles. Le pire, pourtant, c'était bien celui donné par la justice.
Crime contre l'Humanité.
Voilà pourquoi elle, Thaïa Dinh, se trouvait dans ce tribunal.
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Autochtone
Bilim KurguThaïa Dinh a vingt ans et un avenir tout tracé. Après des études de génétique, elle est engagée dans la plus grande entreprise du monde, la plus prospère et certainement la plus connue : le Centre des Modifications Téléchargeables. Désormais au serv...