— Qu'avez-vous ressenti à ce moment-là ?
— Quand ?
— Qu'avez-vous ressenti lorsque Mai An Banh vous a appelé « docteur » ?
Il s'agissait du deuxième jour de procès. Thaïa était déjà épuisée, sa nuit avait été courte malgré les draps doux et le matelas confortable de l'hôtel. Elle n'avait fait que ressasser la première journée, les questions qu'on lui avait posées, les réponses qu'elle avait données. Elle s'était demandée si elle avait bien répondu, si elle avait fait tout ce qu'il fallait.
Pour ne pas répéter inutilement l'échec cuisant du collant effilé – entièrement troué à la pause médiane, enlevé pour l'après-midi – Thaïa avait opté pour un ensemble tailleur pantalon pour le reste du procès.
— Madame Dinh ?
Thaïa releva la tête afin d'observer son interlocuteur. L'avocat de la Défense occupait tout son champ de vision.
En ce deuxième jour, Thaïa avait été placée dans un petit box à la gauche du juge. Celui-ci l'observait. C'était lui, le juge Varela, qui l'avait rappelée à l'instant présent. Il en aurait marre bien avant la fin du procès, Thaïa perdait souvent le sens de la réalité. Il se racla la gorge, une fois, deux fois, de plus en plus fort. Thaïa se fit la réflexion qu'il allait s'abîmer le gosier à force de faire ça, qu'il cracherait du sang bien avant qu'elle ne soit condamnée à mort.
— Veuillez répondre à la question.
Thaïa hocha la tête.
— Je me suis sentie toute puissante.
Et aussitôt, elle s'en voulut d'avoir prononcé ces mots. L'avocat de la Défense la toisa d'un regard prétentieux, ironique, et, plus que tout, jubilatoire. Il se tourna vers les jurés, s'éloigna de quelques pas de la criminelle, et écarta largement les bras. Il s'exclama :
— Avez-vous entendu comme moi, mesdames et messieurs les jurés ? Thaïa Dinh le dit elle-même : elle se sentait toute puissante. Or, la toute-puissance n'est-ce pas ce sentiment qui nous conduit à faire l'expérience des limites ? Non pas seulement nos propres limites, mais bien les limites d'autrui, celles de la société. Par cet aveu, Thaïa Dinh ne vient-elle pas d'avouer ses crimes ?
Il laissa sa question planer quelques instants. Les jurés échangeaient des regards, des mots à voix basse. Dans la salle, les spectateurs faisaient de même.
— Je vous le dis et je vous le répète : Thaïa Dinh est coupable. C'est à cause d'elle, déclara-t-il en pointant l'accusée du doigt, que notre monde a failli s'écrouler. C'est à cause d'elle que certains d'entre nous ont tout perdu. C'est à cause d'elle que trop d'innocents ont perdu la vie, parfois des familles entières.
Si certains n'étaient pas encore convaincus par ces idées, ils finirent de l'être lorsque l'avocat affirma :
— Cette femme est la plus grande criminelle de l'Histoire.
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Autochtone
Bilim KurguThaïa Dinh a vingt ans et un avenir tout tracé. Après des études de génétique, elle est engagée dans la plus grande entreprise du monde, la plus prospère et certainement la plus connue : le Centre des Modifications Téléchargeables. Désormais au serv...