( À Anna Göldin, dernière sorcière brûlée vive en Suisse 1734-1782)
L'horloge sonnait dix-heures. Le soleil illuminait les rues bondées. On entendait les appels des innombrables marchands. Chasseurs, fleuristes, fermiers, boulangers ou menuisiers, leurs cris fusaient de toutes parts.
Un rat déambulait timidement sur le pavé. Il examinait les alentours, prêt à déguerpir si le danger arrivait. Il s'approcha d'un étal de légumes. Un bout de salade était tombé sur le sol et les badauds semblaient l'avoir oublié. Fort heureuse, la petite créature s'en empara sans hésitation, puis repartit se tapir dans l'ombre.
Mais la foule l'avait aperçu. Des mots qu'elle crachait à présent, suintait une haine vorace et destructive. Cependant, ce n'était pas au petit rat qu'elle s'adressait. C'était à Anna, qui descendait la rue, vêtue de sa robe noire de crasse et un panier à la main.
« Gueuse ! Sorcière ! criait-on sur son passage. Le seigneur saura te châtier pour tes péchés ! Ah ouiche ! Il le saura. Il saura reconnaître la marque du Malin. » Un garçon de rue, dont les braies étaient mouchetées de saletés cracha à se pieds et déguerpit en braillant.
Anna était à la fois tout et rien. Elle avait à la fois tout et rien fait. Son histoire se renouvelait sans cesse au gré du vent et selon ce que l'on avait envie de raconter.
Ce dont on était certains, c'est qu'elle demeurait dans une maison étrange, en haut de la ville. Une cabane bleu pâle et surélevée qui tenait uniquement sur trois colonnes en bois et un petit muret. Elle y résidait seule, mais l'on pouvait l'entendre marmonner mystérieusement, selon ses voisins qui semblaient prendre un malin plaisir à surveiller ses faits et gestes.
Selon eux également, la jeune femme nourrissait les corbeaux qui se posaient sur son balcon et restait en leur compagnie le dimanche, alors que tout le monde se rendait à l'église. Elle ne mangeait rien, ne consommait rien d'autre que des herbes étrange dont elle seule connaissait le nom. Elle empestait la sauge et la magie noire et, par-dessus tout, elle n'avait pas la foi. Certains allaient même jusqu'à dire qu'elle avait couché avec Satan, qu'elle vénérait le mal plutôt que le tout puissant.
Anna continua son chemin, trempée par la pluie de grossièretés et croisa le regard compatissant du rat qui s'était caché à l'ombre d'un cageot. Après tout, ils n'étaient pas si différents ! Ils marchaient tous deux sur un bûcher et la haine des passants menaçait d'y mettre le feu à tous moments.
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Un Cycle
Short StoryLa vie, les émotions, les événements... Tout est un cycle en perpétuel changement. Ce recueil de nouvelles, poèmes et textes en tous genres traite des thèmes que l'on retrouve souvent au cours de notre existence jusqu'à notre mort. Image de couvertu...
