Afrique du sud-
Assis à même le sol, mes mains usées accrochées aux barreaux, je contemplais ce qui se trouvait de l'autre côté. Un garçonnet habillé de noir me fixait des ses yeux emplis de peur, les lèvres tremblantes, comme s'il était sur le point de se mettre à pleurer. Je lui ai souri, mais il s'est éloigné de moi, et lorsque j'ai prononcé des mots qui se voulaient rassurants, il a détalé pour aller se tapir à l'arrière d'un tas de cageots. Je suis resté de marbre, attendant qu'il domptât sa frayeur et revienne vers moi. Je savais qu'il sortirait de sa cachette à un moment ou un autre, car j'avais décelé une once de curiosité dans son regard affolé.
Le zoo était noir de monde et il faisait une chaleur étouffante. Guettant son retour, je me suis levé, les jambes engourdies à force d'être resté trop longtemps dans la même position.
C'est seulement à la tombée du jour, lorsque les visiteurs étaient en train de partir, que je l'ai entendu revenir et s'approcher de moi, l'air plus serein qu'auparavant.
« Pourquoi vis-tu ici ? » avons-nous demandé à l'unisson. J'ai ri, amusé. Je lui ai expliqué calmement que les bâtisseurs de ce zoo humain m'avaient enlevé de mon pays natal et que je m'étais retrouvé là quelques jours plus tard, sans même avoir le temps de m'imaginer ce qui m'attendait. Alors que je pensais que ma déclaration le ferait fuir à nouveau, le petit garçon n'a pas bougé d'un pouce et a courageusement chuchoté :
« Moi aussi !
- Comment t'appelles-tu ? ai-je demandé.
- Martin Leroy et toi ?
- Moi ? Je ne sais plus, mais ici on me surnomme le p'tiot parce que je suis le plus jeune. » Ses petites mains agrippées aux barreaux de sa prison, Martin est devenu blanc comme un linge.
« Si tu n'as pas de nom, ça veut dire que tu es un esclave, » a-t-il soufflé. J'ai acquiescé.
« Es-tu heureux de vivre ainsi ?
- Non Martin, je suis battu, traité comme un chien et j'ai tout le temps peur, mais c'est comme ça.
- Moi aussi. Je déteste les visiteurs du zoo et leur façon de me jauger comme si j'étais un bête animal de cirque... Un éléphant.
- Je suis noir, toi tu es blanc et nous avons une vie semblable. Voilà un bel exemple d'égalité, » ai-je ironisé.
Je désirais tant savoir pourquoi ce petit garçon se trouvait dans ce zoo humain là, dans cette cage, mais je n'osais pas le lui demander. Je ne souhaitais pas le froisser. De prime abord, il semblait tout à fait normal... J'ai tout de même fini par apercevoir ce qui n'allait pas. Quelque chose d'infime, mais visible pourtant. Je ne l'avais pas remarqué auparavant parce qu'il était couvert d'habits en coton et se tenait toujours dans la pénombre, mais ses yeux étaient d'une couleur étrange. Ils étaient rouges. Aussi rouge que mon sang lorsque je recevais des coups de fouet. Martin Leroy était albinos.
Ensemble nous avons passé une nuit blanche, discutant en chuchotant pour ne pas réveiller les gardiens, lui dans sa prison, moi assis devant, de nos frustrations, nos peurs, notre colère et notre haine. Je lui ai raconté ce que j'avais dû effectuer, le matin même, pour que l'on me donne à manger pour la journée et lui, me parlait de son ressenti lorsqu'il parvenait à entendre les commentaires des visiteurs du zoo. Pour la première fois en treize ans de vie sur Terre, j'ai été heureux, et je pense que Martin aussi.
Lorsque je l'ai quitté au petit matin pour me rendre vers l'entrée du zoo, afin d'accueillir les premiers arrivants, j'arborais une mine plutôt réjouie. Les idées noires qui m'embêtaient seulement quelques jours plus tôt s'étaient quelque peu dissipées.
Toute la matinée durant, j'ai vendu des tickets d'entrée, me suis forcé à sourire aux clients que je méprisais, et j'ai rempli la caisse d'argent.
Lorsque ma journée de travail s'est terminée, j'ai rejoint Martin Leroy et, comme la veille, nous avons longuement bavardé, nous accordant cette fois-ci quelques heures de sommeil. Nous avons fait de même les soirs suivants.
Une semaine plus tard, dans la nuit noire, après m'avoir conté de nouvelles remarques désobligeantes lancées devant sa cage, Martin, de but en blanc, a lancé une idée. Celle de nous évader de ce lieu comparable à l'enfer. Ce projet ne m'a guère plu au début, mais plus le lendemain approchait, plus je me surprenais à rêver d'une vie d'Homme libre.
« Imagine, m'a dit Martin, une vie sans peur, sans pression, sans coups de fouet. N'est-ce pas tentant ?
- Ça l'est évidemment. Mais es-tu conscient du danger ? Ici, lorsque les esclaves décampent, on leur tranche la tête et je n'ose même pas imaginer ce qui t'arriverait à toi. Tu n'as même pas dix ans !
- Vivre longtemps dans cet endroit m'importe peu. Autant essayer. Le pire qu'il puisse nous arriver serait de ne plus avoir à supporter de vivre dans ce zoo. » Il m'avait convaincu. Ce garçonnet m'impressionnait. Il était si jeune mais était prêt à donner sa vie pour atteindre ce qu'il souhaitait au plus profond de son âme. Le lendemain après-midi, j'ai intentionnellement commis une petite bêtise. Rien de grave, juste pour que l'on m'envoie dans le bureau du responsable, recevoir quelques coups de fouet.
Les clefs des différentes cages et de sortie du zoo s'y trouvaient, il fallait que j'y eusse accès.
Le soir, nous avons réunis les clefs qui nous permettaient de nous évader. Et, tard dans l'obscurité, nous sommes partis, avons laissé notre passé derrière nous, tournés vers notre avenir. Un avenir heureux, différent. Ça avait été d'une simplicité enfantine... Nuit noire à marquer d'une pierre blanche.

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Un Cycle
Kort verhaalLa vie, les émotions, les événements... Tout est un cycle en perpétuel changement. Ce recueil de nouvelles, poèmes et textes en tous genres traite des thèmes que l'on retrouve souvent au cours de notre existence jusqu'à notre mort. Image de couvertu...