Le jour où l'homme volera enfin, il se considérera au-dessus de Dieu...
Il observera le même paysage que moi couler sous ses yeux. Il défilera à une vitesse effroyable et l'homme aura peur. Puis, il finira par prendre conscience du sentiment de puissance octroyé après l'essor. Il verra par-delà les nuages éclore la grandeur du monde. Il y prendra goût. Il ne pourra dès lors plus se passer de ses ailes.
L'homme est capable de tout. Il pourra peut-être un jour se proclamer roi de la nature. Je sais qu'il parviendra à nous rejoindre dans le ciel, aussi bien qu'il parviendra à plonger dans les abîmes de la terre bleue. Il gravira les pics et creusera le sol jusqu'à l'enfer.
Mais il y a une seule chose dont l'homme ne sera jamais capable. Il ne verra jamais le monde tel que nous le voyons. Il ne sera jamais témoin de l'inutilité sublime de ce qui nous entoure.
Le bouton d'or, par exemple, que je contemple en cet instant précis, ne sera pour lui qu'un moyen de décorer sa maison, un moyen de séduire, un cadeau pour une mère... Il ne le verra pas comme une simple fleur, dont l'existence n'a d'utilité que pour elle-même. Il ne la verra pas comme un simple éclat jaune sur fond nuageux.
L'arbre qui se dresse sur le sentier dans toute sa hauteur ne sera pour lui qu'une source de bois pour le chauffage. Il ne verra pas la brume douce et fraîche qui l'entoure, ni la lumière dorée et étincelante qu'il filtre et laisse transparaître entre ses touffes de feuilles éclatantes quand l'astre du jour affleure à l'horizon.
L'eau deviendra un jour une marchandise pour l'homme. Elle se vendra si chère qu'on la nommera or bleue. Il ne verra ni l'onctuosité de son écume, ni les reflets pâles qui se dessinent en sa surface. Il ne verra jamais l'eau comme la frontière entre le monde physique et l'image vaporeuse qu'il peut donner.
L'homme a toujours cherché une direction, une fin, une utilité aux choses.
Lorsqu'il volera, ce sera pour un but bien précis et non pour le simple fait de voler. L'essor ne lui procurera alors aucune authentique liberté, car l'homme est voué à être prisonnier. Prisonnier du regard intéressé qu'il porte sur le monde. Le besoin qu'il a de trouver un sens aux choses l'empêchera toujours d'y voir leur forme de beauté la plus absolue. La beauté d'exister. Son envie de mater l'ordre de la nature, de contrôler l'amabilité hostile de l'environnement le condamnera à un sentiment d'impuissance et d'enfermement jusqu'à la fin des temps.
Le jour où l'homme volera, il se considérera comme un être divin. Mais cela sera provisoire. Cela ne suffira pas pour étancher sa soif de maîtrise et de grandeur.
Il ignore que la satisfaction éternelle ne se trouve qu'à l'Au-delà. Et l'homme confond le ciel avec les Cieux.
Ecrit par l'Oiseau en 1823
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Un Cycle
Short StoryLa vie, les émotions, les événements... Tout est un cycle en perpétuel changement. Ce recueil de nouvelles, poèmes et textes en tous genres traite des thèmes que l'on retrouve souvent au cours de notre existence jusqu'à notre mort. Image de couvertu...