Les yeux sur le calendrier, je coche la date du jour. On est déjà le 17 mars, c'est quasiment la moitié du mois et le froid règne toujours sur Paris. Je me frotte les bras pour me réchauffer un peu et puis je ferme les grands rideaux rouges ; mes yeux restent fixés sur ces derniers un instant, parce qu'ils sont abîmés et moins beaux qu'avant. Mon père avait prévu de les changer mais il n'en a pas eu le temps, et je pense que je n'ai pas la force de le faire. Je n'ai pas la force de changer quoique ce soit ici, comme si j'avais peur que mon esprit se range lui aussi, comme si j'avais peur d'oublier tous les souvenirs que j'ai partagé avec eux.
Mon père, médecin et pharmacien, qui se précipitait pour soigner gros rhumes et petits bobos. Ma mère derrière le comptoir qui réglait les comptes et les factures. Et moi, au milieu de tout ce monde, qui observait et qui espérait devenir comme lui. Je me demande s'ils étaient fiers de moi autant que j'étais fier d'eux.
Je n'ai pas le temps de réfléchir plus longtemps, la porte s'ouvre. J'ai pourtant bien mis la pancarte « fermé » à l'entrée. Je me retourne alors et je n'ai pas le temps de dire quoique ce soit, parce que ce que j'ai devant moi me fait tomber de plusieurs étages.
Harry Styles. L'homme du nouvel an peine à se tenir devant moi. Il n'est qu'en chemise, l'une de ses manches est remplie de sang, du sang qui coule de son épaule et qu'il tente de maintenir contre lui. Je n'arrive pas à y croire, je ne comprends pas ce qu'il se passe mais j'agis comme aurait agi mon père et j'accoure jusqu'à lui. Je maintiens son bras pendant que mon autre main vient verrouiller la porte. Harry est blanc, je sens qu'il va tourner de l'oeil alors je l'emmène rapidement à l'arrière boutique. Je ne parle pas, je n'ai jamais eu affaire à un cas comme celui-là, aussi je me hâte de le faire allonger sur la table d'examen. Ma main vient défaire sa chemise, je peux enfin voir sa blessure et je constate avec effroi qu'il s'agit d'une blessure par balle. Je manque de tourner de l'œil moi aussi parce que les souvenirs de la guerre refont surface et pourtant je m'efforce de garder le contrôle. La blessure est superficielle et il n'aura besoin que de quelques points de sutures.
"Je vais juste te donner de quoi t'anesthés-
- Non. S'il te plaît, je veux rester éveillé. Je ne veux pas avoir le bras endormi non plus."
Mes yeux le scrutent quelques secondes ; il est sérieux et totalement sûr de lui. Alors je ne pose pas d'autres questions et je prépare de quoi le soigner. Lorsque je commence à m'occuper de lui, il se contente de garder ses yeux rivés sur mon visage. Je ne sais pas si ça me déstabilise ou si ça me rassure, mais j'arrive à me concentrer sur ce que je fais et surtout ça me permet de savoir s'il est toujours éveillé et pas en train de sombrer. Il grimace mais ne flanche pas, je ne sais pas ce qui le pousse à agir comme ça.
Après avoir terminé, je nettoie mes instruments médicaux. Il se redresse doucement sur la table.
"Non. Reste allongé, tu risques de tomber.
- C'est bon je vais bien."
Je me retourne et le fixe, vraiment sérieux et avec toute ma confiance en moi.
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Le bal du Lancaster
FanfictionL'histoire est terminée. Vous pouvez acheter la version papier ici : https://www.lulu.com/shop/adeline-ruczynski/le-bal-du-lancaster/paperback/product-e7e8gw8.html?q=Le+bal+du+Lancaster&page=1&pageSize=4