Le 25 décembre, je suis habillé comme si j'allais encore à ce bal. Comme si Harry n'avait pas brisé mes derniers espoirs il y a quatre jours. J'ai hésité à y aller, j'avais eu raison parce que le bal du Lancaster avait toujours lieu et son « C'est annulé. » parlait évidemment de notre voyage à la campagne. Je me suis apprêté comme lors du bal de la nouvelle année. Je me suis imaginé tout type de scénario, comme si Harry était vraiment au bal et qu'il n'avait juste pas voulu que j'y aille. Je me suis imaginé que j'aurais pu le coincer avec une autre fille, qu'il s'était juste amusé de moi. Comme à mon habitude, j'ai cru à des choses insensées. Mais si je suis encore chez moi et pas là-bas, c'est parce que je lui fais confiance.
Hier j'ai eu vingt cinq ans. Personne ne savait que c'était mon anniversaire. Je n'ai pas ouvert la pharmacie et je n'ai soufflé aucune bougie. J'ai rêvé que mes parents soient encore là avec moi, qu'ils soient encore en vie pour fêter mon année de plus. Mais est-ce qu'ils auraient été fiers de moi ? Alors que je donnerai ma vie pour un autre homme ? Et que je pourrais sacrifier ma fiancée et mon futur enfant pour lui ? J'ai passé le pire anniversaire de ma vie.
Ce Noël est encore pire que le précédent. Je ne fête rien, je n'ai pas été à l'église comme si cet endroit n'était plus ma place. Tout ce que je voulais c'était fuir cette ville maudite. J'aurais suivi Harry jusqu'au bout du monde même. Comment est-ce que les choses vont se dérouler maintenant ?
Il est pratiquement minuit et je m'allume une cigarette, assis sous le porche de la pharmacie. Les rues sont calmes, il fait froid et les gens doivent être en famille chez eux. Je suis seul et le froid me brûle le visage. Espérer qu'Harry viendra n'est plus envisageable, je ne sais pas quand j'aurais la chance de le revoir. Il reste quelques jours avant la nouvelle année et je ne sais pas si celle-ci sera meilleure que la précédente.
J'écrase finalement mon mégot dans ma boîte en fer mais un bruit sourd retentit dans le quartier. Un bruit que je ne reconnais pas, mais un bruit qui fait trembler les lampadaires et qui fait sortir les habitants sur les trottoirs. Le bruit était fort, violent. Le même son retentit une deuxième fois. Puis une troisième fois suivi de cris stridents. Je me lève rapidement et je vois les hommes courir vers le son qui a réveillé Paris, je cours à mon tour. Plus je me rapproche et plus je prends conscience que le bruit vient du Lancaster. Et je ne me trompe pas. J'habite si près et pourtant la route me paraît durer une éternité. Quand on arrive près du bâtiment, c'est la panique. Des gens en sortent, remplis de poussières et blessés. On entend alors encore des cris de panique, de douleur. J'entends que l'on crie à l'attentat, que l'on hurle que ce sont les anarchistes de Wall Street*.
Les témoins viennent en aide aux blessés légers et moi je suis incapable de faire un pas. Je n'avais jamais entendu le son d'une explosion, de trois explosions encore moins. Je ne comprends pas ce qu'il s'est passé et malgré l'émotion, je trouve le courage de réagir et d'apporter de l'aide à ceux qui en ont besoin. La notion du temps me paraît perturbée, je ne sais pas combien de temps il faut attendre avant que les secours arrivent. Ils sont des dizaines à être touchés et on nous dit même qu'il y a des morts.
L'odeur du sang me rappelle la guerre et je ferme les yeux pour reprendre mes esprits. Les gens sont pris en charge et je reste là, devant le Lancaster qui est en feu. Et puis je comprends enfin. La phrase que j'ai entendu, les anarchistes de Wall Street.. Je comprends que ces bombes étaient un attentat politique et je comprends surtout qu'Harry est dans cet hôtel.
Je ne l'ai pas vu parmi les blessés. Il n'est pas sorti. Il ne m'en faut pas plus pour courir vers l'entrée mais je me fais arrêter par un des pompiers. Il me dit d'aller me mettre à l'abri mais je ne peux pas, je ne peux pas parce que je sens qu'Harry est là.
« Non attendez je dois chercher quelqu'un... »
Mais j'ai beau répéter cette phrase, il me retient et un autre me pousse un peu plus fort. L'entrée est en feu mais je ferais n'importe quoi pour aller le chercher.
Il savait. Harry savait qu'il allait y avoir des morts ce soir. Il le savait et c'est pour ça qu'il m'a dit de ne pas venir. Il m'a protégé au détriment de sa vie, comment pourrais-je le laisser là-bas ? J'essaie en vain d'atteindre l'entrée mais un des pompiers me prend par les épaules et ne me dit rien, il me regarde juste. Ce que je vois dans ses yeux, c'est qu'il est dépassé. Je sais qu'il comprend ma peine et mon angoisse, je réalise aussi que je suis en larmes. Parce que si Harry n'est pas sorti, c'est qu'il n'est plus en vie. Je laisse l'homme retourner à son travail et je tombe à même le sol, regardant l'hôtel se faire submerger par les flammes. Je suis le spectateur de la mort de l'amour de ma vie.
J'ai beau attendre toute la nuit devant l'hôtel, il n'en est jamais sorti vivant.
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Le bal du Lancaster
FanfictionL'histoire est terminée. Vous pouvez acheter la version papier ici : https://www.lulu.com/shop/adeline-ruczynski/le-bal-du-lancaster/paperback/product-e7e8gw8.html?q=Le+bal+du+Lancaster&page=1&pageSize=4