Le bal du Lancaster

Chapitre 9

Le mois de Novembre touche à sa fin. Je regarde la rue déjà remplie de verglas et les gens sont habillés de longs manteaux chauds.

« As-tu vu l'ordonnance que tu devais compléter ce matin ? Je ne la retrouve pas. »

Je me tourne vers Madeleine en haussant les épaules. Depuis nos fiançailles, elle est pratiquement là à mon réveil et jusqu'à mon coucher. Je ne supporte plus cette présence extrême, je ne supporte plus de devoir faire semblant. Elle parle sans cesse de nos fiançailles à chaque client, montrant la bague que je lui ai offerte. Il s'agit d'une bague qui n'a aucune valeur sentimentale puisque je l'ai achetée après la visite de ses parents. Celle de ma mère se trouve encore dans un écrin, je n'ai pas pu me résigner à le lui donner et c'est un énième secret que je cache. Impossible de savoir ce que je vais en faire d'ailleurs, elle restera éternellement dans un tiroir et je serais probablement enterré avec.

Je n'ai pas envie que ma vie ressemble à ça, je n'ai pas envie de la voir chaque jour ici. Madeleine est gentille et elle est belle, intelligente.. elle a de nombreuses qualités dont je ne peux pas faire abstraction mais je ne veux pas d'elle. Elle ne semble même pas en tenir compte. Elle était beaucoup plus appréciable lorsqu'elle vivait dans le doute de savoir si je tenais à elle ou pas. Maintenant elle ne s'intéresse plus à mes sentiments, elle s'octroie des marques de tendresse en public et parle de nous en nous inventant des sorties qui n'ont jamais eu lieu ou bien des discussions entre nous qui n'ont définitivement jamais eues lieues. Les gens croient à ses histoires et je n'ai jamais osé la confronter là-dessus. Elle ose même diffuser ces fausses informations alors que je suis à côté, mais je ne sais pas quoi dire. C'est maintenant trop tard pour revenir en arrière. Au fond je pense être capable de comprendre son comportement, elle s'est attaché à moi et je ne lui donne rien en retour. J'ai fait perdurer un amour inexistant entre nous alors que j'appréciais juste le fait de ne plus être seul. Elle me donne l'attention que je ne peux pas avoir avec Harry.

Ce soir quand elle part, elle s'approche de moi pour déposer un baiser sur mes lèvres auquel je ne réponds même pas. Je suis vide d'émotions en sa compagnie.

« Je t'ai laissé le compte-rendu de l'inventaire sur le comptoir. N'oublie pas de commander.»

Je marmonne un petit oui, comme si c'était elle qui gérait la pharmacie et qui me gérait maintenant. Je lui ai laissé une place trop importante alors qu'elle ne le méritait pas. Et le pire dans tout ça c'est que c'est désormais impossible pour moi de faire marche arrière, le mariage est désormais synonyme de prison.

La porte claque dans mon dos et je soupire en fermant les yeux, je sens que je vais craquer avant la fin de l'année. Je suis en plein cauchemar, ce n'est pas la vie que je veux mais est-ce que c'est la vie que je mérite ? Est-ce que quelqu'un a déjà été dans le même embarras que moi ? Est-ce que quelqu'un s'est forcé à épouser quelqu'un qui n'aimait pas pour garder l'autre ? Est-ce que c'est comme ça que cela fonctionne ? On épouse une femme pour garder un homme ?

« Félicitations pour les fiançailles. »

Il ne me faut pas plus de quelques secondes avant de me retourner. Cela fait des semaines que je veux entendre cette voix, que j'ai surtout besoin de l'entendre. Harry se tient derrière le comptoir, les traits tirés et les mains à plat sur le meuble en bois.