Le bal du Lancaster

Chapitre 8

Le mois de Novembre commence difficilement. D'abord parce que malgré ce qu'il m'a dit, Harry ne vient plus vraiment me voir. Je ne sais pas où il habite, c'est un secret qui perdure entre nous et je ne peux donc pas aller le chercher. Maintenant c'est beaucoup plus clair à mes yeux, je comprends même pourquoi il agit de la sorte. Ce que je comprends moins c'est pourquoi il ne m'investit pas davantage dans ce qu'il fait. Pourquoi il ne m'explique pas ce qu'il fait. Peut-être qu'il a peur de prendre des risques mais je ne peux pas m'empêcher de croire qu'il doute de moi, je crois parfois qu'il ne me dit rien de peur que je lui mente et qu'en réalité je vais donner les informations aux révolutionnaires. Ce n'est pas simple d'être proche de lui, c'est même plus que compliqué.

Madeleine quant à elle est de plus en plus présente à la pharmacie, comme si elle sentait que je lui échappais et qu'elle voulait à tout prix se rapprocher de moi pour que je ne me volatilise pas. Je n'ai toujours pas pris de réelle décision sur la façon dont je vais partir. La pharmacie va me manquer et je ne peux pas m'empêcher de penser à ce que je laisse derrière. Est-ce que les gens d'ici trouveront quelqu'un d'autre pour les aider comme je les aide ?

Le froid n'aide pas à me rassurer parce que les gens d'ici sont très malades et les médecins sont débordés, ils préfèrent se rendre directement à la boutique pour éviter d'attendre trop longtemps.

Le mois prochain, on sera en décembre. C'est le mois de mon anniversaire mais aussi un autre Noël sans ma famille et j'espère sincèrement que ce Noël je le passerai avec Harry. Que ce soit ici à Paris ou alors ailleurs. J'ai juste envie d'être avec lui et me dire que l'on a finalement réussi à créer une nouvelle vie ensemble. J'ai envie que cette fois-ci, ma bonne étoile se mette à briller plus que de coutume et que le bonheur s'offre enfin à moi.

*

**

En plein week-end, alors que le mois de Novembre est bien entamé et que la boutique est fermée, j'entends que l'on frappe à la porte. Je suis à l'étage, dans mon salon personnel, un livre entre les mains et un verre de whisky posé sur la table en face de moi. Je pense immédiatement à Harry et je referme à la hâte mon bouquin en me levant, dans la précipitation, je renverse mon verre mais je n'en tiens pas rigueur. Les marches jusqu'à la boutique me paraissent interminables et alors que je me rends devant la porte et que j'ouvre les rideaux, je me fige en me rendant compte qu'il s'agit de Madeleine et de ses parents. Mon visage se ferme immédiatement. La déception est immense, je voulais impérativement voir celui qui a conquis mon cœur. Je prends mon temps pour déverrouiller la porte, je sens que cette venue soudaine n'est pas seulement avec des intentions positives.

« Louis. Nous sommes contents de voir que tu es là. »

C'est le père de Madeleine qui commence. Je peux sentir la fermeté dans sa voix, comme s'il posait déjà les bases pour dire que quoiqu'il a à dire, je ne dois pas le décevoir. Je les fais entrer et je referme derrière eux en scrutant la rue quelques secondes. Où es-tu Harry ?

Madeleine connaît le chemin et les invite à s'installer à l'étage. D'habitude, elle attend mon autorisation pour aller dans mes appartements privés contrairement à aujourd'hui, je ne peux pas lui reprocher ça devant ses parents. Je les suis et je viens nettoyer l'alcool renversé sur la table alors qu'ils me regardent tous. Je peux sentir la tension s'intensifier entre nous.

« Cela fait un moment que Madeleine et toi êtes proches et travaillez ensemble. »

Apparemment, nous n'allons pas échanger des banalités. Sa mère et Maddie ne m'ont toujours pas adressé un mot, comme s'il s'agissait seulement d'une discussion entre hommes. Je reste absolument perplexe face à ce comportement.

« En effet. »

Je m'éloigne jusqu'à la cuisine pour leur servir du café chaud à chacun et lorsque je reviens, c'est comme si la guillotine était préparée pour moi. Je dépose les tasses en restant debout, le regard perdu vers la fenêtre.

« Alors je pense qu'il est temps de vous fiancer et de programmer le mariage. »

C'était sûr. C'était sûr qu'il s'agissait de ça. J'aurais dû le prévoir. Je lance un regard à Madeleine qui a l'air heureuse. Comme si enfin, son père prenait la décision pour elle en me mettant le couteau sous la gorge et que je n'avais plus le choix maintenant, qu'elle allait être ma femme.

Je plonge mon regard dans mon café noir. Qu'est-ce que je peux répondre à ça ? Pourquoi on ne peut pas rester comme on était ? Si je dis non, ils risquent de se poser des questions et ma relation avec Harry deviendra délicate voire impossible et il y a déjà beaucoup trop de problèmes pour que je lui en donne des nouveaux. Et si je dis oui, alors je trahis celui que j'aime et je trahis surtout Maddie. Fuir en laissant mon épouse la condamnerait à rester seule toute sa vie. Elle ne mérite pas ça.

« Ton silence est surprenant Louis. Je croyais que tu aimais ma fille, c'est bien pour ça qu'elle vient ici tous les jours non ? Tu ne te joues pas de nous ? »

Je m'étrangle légèrement avec ma boisson mais je dois rester de marbre. Je voudrais parler avec Harry, j'aimerais qu'on en discute avant que ma décision ne bouleverse nos vies à tous.

« Non. C'est juste que j'aurais aimé que nos fiançailles se passent avec un peu plus de romantisme. »

Mes trois invités relâchent leurs souffles qu'ils gardaient au creux de leur ventre. Sauf que moi, je me sens désormais enchaîné. Le père de Madeleine se lève et s'approche de moi, il m'empoigne l'épaule avec un large sourire.

« C'est ce qu'on voulait entendre. Nous allons organiser l'annonce des fiançailles pour la semaine prochaine. »

C'est comme s'il ne m'avait pas écouté. Je ne peux pas croire qu'on me prend de court de la sorte et c'est là que je me rends compte d'à quel point j'ai besoin de mes parents à mes côtés. J'ai besoin d'eux pour me sortir de cet enfer. J'aurais tellement aimé qu'ils soient là.