FLASHBACK : 6 frères et 4 sœurs

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Les règles avaient toujours été très strictes. Il ne faillait pas crier ni rire trop fort. Il ne fallait pas courir dans la maison ni se battre avec ses frères et sœurs. Il fallait participer aux taches ménagères et surtout obéir. Vivre entourée de 6 frères et 4 sœurs quand on est une petite fille de 5 ans n'est pas une chose facile. On lui donnait les vêtements de ses ainées et elle n'aimait pas ça. D'un naturel silencieux, la petite fille aurait aimé qu'on l'écoute lorsqu'elle parlait mais ce n'était jamais le cas. Elle n'était pas vraiment malheureuse mais elle n'était pas heureuse non plus. Pourtant son père et ses trois mères faisaient tout ce qu'ils pouvaient pour assurer à leurs enfants la meilleure vie possible. Ils allaient à l'école, ils mangeaient à leur faim et on ne les corrigeait pas si souvent.

Le soir, en allant se coucher, le père de cette nombreuse fratrie racontait une histoire à ses enfants. Toujours la même, si bien que même la cadette la connaissait par cœur. C'était un conte ancien qui parlait des péchés capitaux. C'était un conte ancien que le patriarche racontait en Ancien Français. Les plus âgés ne comprenaient pas encore toutes les subtilités de ce langage châtié mais ça ne les empêchait pas de réciter les dialogues des différents personnages. Le conte avait pour titre : L'Hôtellerie des Sept Péchés Capitaux. Voilà ce qu'il disait :

Au temps jadis, il advint une fois que les Sept Péchés Capitaux allèrent de compagnie rendre leurs devoirs à messire Satanas, leur compère. Chemin faisant, les pèlerins menèrent si joyeuse vie qu'au retour l'idée leur vint de ne plus se quitter.

Comme d'aventure ils passaient alors sur la place de Lille en Flandre, ils entrèrent, pour en deviser à l'aise, dans l'eſtaminet de la Grand'Pinte & s'assirent en rond autour d'un pot de bière brune.

- Mes enfants, dit l'Orgueil en bourrant sa pipe, — car je suis votre père, de même que madame la Paresse eſt votre mère, — je veux bien condescendre à ce que désormais nous fassions ménage ensemble, mais en ce cas il eſt bon de choisir sur-le-champ notre demeure. D'abord il me paraît que des gens de notre rang ne doivent point se loger à l'auberge comme une troupe de saltimbanques.

- D'autant plus que cela nous coûterait de l'argent, remarqua judicieusement l'Avarice.

- Et qu'il faudrait prendre la peine d'en gagner, ajouta la Paresse.

- Donc, choisissons, reprit l'Orgueil, une honnête maison où l'on puisse nous héberger gratuitement, & avec toute la considération qu'on doit à des personnes de notre condition.

- Par la double bière des Pays-Bas ! s'écria la Gourmandise, voici juſtement M. le bourgmeſtre qui vient digérer en fumant sa pipe. Si nous lui demandions l'hospitalité ? M'eſt avis que nous serons royalement chez lui, à en juger par sa panse.

- Parlez pour vous, ma belle, siffla l'Envie. Quel contentement voulez-vous que j'aie chez un mynherr qui eſt le plus gros bonnet de l'endroit & qui voit tout le monde à ses pieds ? Suivons plutôt ce bon paysan dont les os carillonnent sous sa jaquette & qui louche en regardant de ce côté.

- Un joli hôte, ma foi ! vociféra la Colère. Un gueux dont la misère a usé l'âme jusqu'à la corde & qui ose à peine remuer quand on l'écrase ! Vive ce beau capitaine qui entre l'œil terrible & la mouſtache en croc ! Voilà un brave homme qui ne nous laissera point marcher sur le pied !

- Un brave homme ! bâilla la Paresse, un homme qui, en temps de paix, se lève avec les coqs pour faire l'exercice, & qui, en campagne, couche sur le carreau & finira par y reſter. Ce ne sera jamais moi qui ferai société avec un traîneur de sabre.

- J'entrevois, mes enfants, reprit l'Orgueil, qu'un gîte à trouver eſt chose plus malaisée que nous ne pensions. Tredame ! je n'aurais jamais cru que les bons fils d'Adam nous fussent aussi rétifs.

Vous ne pouvez pas forcer une personne à vous aimerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant