La première fois que j'ai rencontré Léandre, je travaillais au vestiaire du Jockey Club à l'occasion d'une soirée rallye – comprenez une soirée mondaine où les adolescents de la bonne société se retrouvent régulièrement pour réseauter, boire du champagne et danser sur des tubes des années 80 – afin de remplacer l'une de mes copines qui ne pouvait pas y travailler cette fois-là.
Ce club très privé dont 90% des membres appartiennent à la noblesse et à la haute bourgeoisie, est l'un des plus huppés et élitistes de la capitale. Pour y être admis, vous devez non seulement obtenir le parrainage de deux adhérents du club mais votre candidature doit être soumise aux autres dans l'espoir d'atteindre une majorité qui vous permettra d'obtenir le précieux sésame. Et bien sûr, tout ça n'est pas gratuit mais pour la plupart de ces gens-là, l'argent n'est pas un problème.
Aux abois comme je l'étais (et suis toujours... CQFD), n'importe quel travail rémunéré, en plus de ceux que je cumulais déjà, était bon à prendre. J'avais donc passé la soirée à enfiler des manteaux sur des cintres en échanges de jetons numérotés, supportant avec difficulté la condescendance notoire de certains jeunes, quand un type avait débarqué avec fracas dans le vestibule désert de l'établissement, trempé jusqu'aux os.
Je me souviens qu'il pleuvait des cordes ce soir-là et le pauvre avait manifestement oublié de prendre son parapluie. Il s'était alors avancé jusqu'à nous pour se débarrasser de son manteau en cachemire détrempé et nous avions rapidement plaisanté sur sa malchance.
Pas vraiment impressionnée, je l'avais regardé comme la centaine d'autres beaux garçons qui avaient défilé dans la soirée : sans intérêt particulier. Grand, mince, distingué, le verbe facile, il avait l'allure typique du mec de bonne famille qui a appris très tôt à ne jamais mélanger les torchons et les serviettes.
Quelle n'avait donc pas été ma surprise quand rapidement après avoir intégré la soirée, il était revenu pour papoter et avait passé presque toute la nuit à me tenir compagnie, se révélant être un interlocuteur charmeur et agréable.
De trois ans plus vieux que moi, il m'avait confié être étudiant en philosophie, résider dans l'immense et sinistre hôtel particulier de sa famille situé dans le 6ème arrondissement et être absolument passionné par l'antiquité. Nous avions discuté à bâtons rompus d'art, de musique et de nos vies en règle générale, sans voir les heures défiler.
Il était si facile de bavarder avec lui. Moi qui avais toujours été considérée comme l'intellectuelle rasoir de la maison, j'avais trouvé formidable de pouvoir converser de tout si facilement avec un mec. Je n'avais jamais rencontré de type de mon âge aussi cultivé, fin d'esprit et drôle, aussi. Bref, en quelques heures seulement, je suis tombée sous son charme subtil et visiblement le sentiment était réciproque.
Après cette soirée, il s'est mis à me courtiser comme un chevalier du moyen-âge l'aurait fait avec sa dame (si, si, il en existe encore !). Il venait me chercher en voiture après les cours, m'apportait des caffèlatte aromatisés à la vanille, m'offrait un livre qu'il avait adoré, une fleur qu'il avait ramassée.
Tout ça, sans jamais rien réclamer en retour. Il me disait que j'étais la plus belle fille qu'il n'avait jamais vue, qu'il adorerait m'embrasser partout, qu'il n'avait jamais ressenti ça pour personne et que j'étais unique. Autant vous dire que je n'ai pas résisté longtemps.
Deux ans plus tard, nous filons toujours le parfait amour.
— J'ai une proposition à te faire, commence-t-il après que le serveur nous ait apporté nos boissons.
Je porte la paille de mon Spritz à ma bouche, curieuse d'entendre ce qu'il a à me dire. J'ai toujours été impressionnée par la couleur si particulière de ses yeux azur. Impossible de ne pas être hypnotisée par leur intensité lorsqu'il vous fixe. C'est même ce que je préfère chez lui. On peut faire passer tant de choses à travers un regard et le sien est sacrément éloquent.
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Nos Nuits de Juillet
RomanceDepuis la mort de son père, Elsa est dans une impasse. Menacée de perdre sa maison d'enfance et étranglée par des crédits qu'elle est incapable de rembourser, elle décide, sur un coup de tête, d'emprunter de l'argent à un usurier peu recommandable q...