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– En vrai faut pas lui dire gars, mais son canap' il est cheum de ouf.

– Ouais ouais de fou ouais...

Sidjil profita d'une taffe pour détourner son regard du type qui lui parlait depuis cinq longues minutes. Son langage corporel était clair : penché sur la rambarde du balcon qui donnait sur la rue en bas de chez Manas, le visage fermé et au mieux tordu en un sourire forcé, il n'avait pas envie de parler. Du moins il n'avait pas envie de parler à quelqu'un qu'il ne connaissait que de très loin, qu'il n'avait pas vu depuis plus d'un an et qu'il n'avait jamais trop su apprécier. Sûrement le pote le plus nul de Manas.

La fumée lui caressait les lèvres et laissait une brûlure âcre dans sa gorge. Quand il allumait une cigarette, Sidjil appréciait jusqu'au mégot. Puis il regrettait. Et il recommençait au nouvel épisode un peu stressant dans sa vie. C'était une manière de romantiser ces instants dont le contrôle lui filait entre les doigts, une forme de destruction de ceux-ci. S'il n'avait le contrôle de rien, il avait le choix : le condamner à s'envoler dans les volutes grisâtres de sa fumée, ou se battre.

Sidjil n'avait pas très envie de se battre, ce soir. Sur le chemin du bar-tabac, il n'avait toujours pas trouvé un seul fil conducteur à poursuivre. Ses pensées voguaient autour de lui, quand il marchait, quand il fumait.

Une part de lui s'en voulait terriblement de retoucher à la cigarette. Maintenant que les cendres avaient grignoté le tabac et qu'il ne lui restait plus qu'à le jeter dans la petite boite de conserve vide faisant office de cendrier mis à disposition par Nicolas, il était moins stressé. Juste un peu mélancolique.

Il était maintenant seul sur ce petit balcon et ce n'était pas dans ses habitudes. On ne le trouvait jamais très loin de Manas quand ce dernier organisait des soirées de ce genre, toujours porté par le flot de discussions chaleureuses. Ils avaient des amis en commun qu'ils ne voyaient pas souvent pour certains. Il était toujours très heureux de revoir certaines têtes, de renouer, de tout salir puis de tout ranger le lendemain avec Manas.

Depuis le début, cette soirée n'avait rien d'identique à ce qu'ils avaient l'habitude de faire. Pour la première fois il y avait Maxime et Elian, et pour la première fois leur quatuor ne ressemblait à rien. Sidjil était tenté de blâmer Maxime.

Il était tenté et il l'aurait sûrement fait il y a quelques heures, mais il l'aperçut assis en tailleur au sol, captivé par son téléphone en charge et tout ce que Sidjil arrivait à penser c'était à quel point il était petit en marge de tout ce monde. Il savait que Maxime avait toujours tendance à se mettre à l'écart quand il y avait trop de personnes, mais ce soir-là, il le voyait différemment. Il était aspiré dans son propre silence, gommé de la réalité comme s'il venait d'un rêve ou d'une hallucination. Il n'existait pas aux yeux des autres, mais ces derniers temps il était devenu tout ce qui comptait pour Sidjil.

Au milieu du salon et d'une musique franchement pas terrible, il remarqua Manas et Elian en train de faire cuire des steaks hachés dans la cuisine. L'action avait beau être assez cocasse, même plutôt aléatoire, Sidjil n'était même pas curieux de comprendre. Il n'en avait rien à faire, il était même réjoui de voir ses deux amis rire ensemble avec leurs spatules à la main. Et il était également réjoui de les voir ensemble parce que depuis qu'il était revenu de sa mission nocturne, Elian n'avait pas quitté Maxime d'une semelle jusq'à présent. Il se demandait s'ils avaient reparlé de leur discussion, si quelque chose avait changé chez Maxime.

En réalité, il avait peur d'aller le voir. Il ne savait pas quoi lui dire, il ne savait pas quoi faire, il ne savait pas comment Maxime le regarderait. Tout ce qui le poussait à gratter une place à ses côtés, c'était cette envie toujours persistante de l'avoir près de lui.

point d'interrogation [maxime&djilsi]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant