Chapitre 5 - Amaryllis

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— 21 Janvier 2023 —

Amaryllis

L'amphithéâtre était de nouveau bondé de monde. Et bien plus que d'habitude. De nouvelles têtes s'étaient montrées, des jeunes femmes en particulier. J'en compris vite la raison lorsque notre enseignant rentra en classe. Aujourd'hui, il portait un smoking beige et un manteau marron qui accentuait ses larges épaules. La gente féminine se mit à retenir leurs respirations, toutes hypnotisées par le charme de l'homme. Certaines retouchaient leurs maquillages, d'autres leurs coiffures.

Lorsqu'il posa ses affaires sur le pupitre, il balaya la salle du regard, jusqu'à ce que nos yeux finissent par se croiser. Il se mit à me fixer, pendant ce qui me paraissait être de longues minutes. Mais il ne s'agissait que de quelques secondes. Cette fois, il ne se plaça pas derrière le micro mais légèrement sur sa droite. Assez décalé pour que je puisse voir ses lèvres. L'aurait-il fait exprès ?
Je dégluti, en me disant que ça ne pouvait être que le fruit du hasard. Et que les coïncidences étaient parfois bien faites. Alors, je n'y prête pas d'avantage d'attention et me concentre à prendre des notes. Je sors de quoi écrire en plus de mon ordinateur et de mon agenda. Je repense à ce moment où il est venu me le rendre, avec cette douce expression sur le visage. L'avait-il ouvert ? Savait-il ce qu'il se trouvait à l'intérieur ? Je pose ma main sur la couverture et espère que ce ne soit pas le cas.

Le cours venait de se terminer et il m'avait sembler que je n'avais jamais autant apprécier un cours comme lui. C'était infiniment intéressant et riche en informations. Il ne s'était jamais arrêté de parler et pourtant je n'ai eu aucuns mal à suivre ce qu'il racontait. J'avais trouvé ça si pertinent que j'aurais pu rester cloué à la chaise encore pendant des heures. Il avait cette prestance qui nous empêchait de détourner le regard et qui nous insiter à nous en décrocher la mâchoire. Même Oria qui n'est pas une grande fan de l'assiduité lors des cours, n'en avait pas lâché une miette. Je crois qu'elle avait même bien plus écrit que moi.

Avant de nous libérer, l'enseignant nous demanda à tous de rédiger brièvement ce qui a été dit durant son heure. Il précisa tout en me regardant :

— Inscrivez bien votre nom et prénom sur la feuille, cela sera noté.

Je baisse aussitôt les pupilles et tremble bêtement en lui accordant à contre cœur mon identité. J'écris en espérant que l'encre s'estompe dans le papier vierge. Mais il n'en ai rien, elle reste fermement gravé dans la matière.

Lorsque nous descendons les marches et que nous nous mettons en rang pour rendre nos copies, je me mets à la fin de la file, retardant au maximum l'échéance. Je suis certainement la seule à attendre mon tour dans l'angoisse. Une angoisse que je ne saurais expliquer.
Oria se tourne vers Beryn et moi avec une moue exagérée.

Je meurs de faim, signe-t-elle. Vous ne voulez pas rendre ma fiche pour moi ? Je vais nous prendre à manger.

— Je t'accompagne alors, tu ne pourras pas tout porter seule, lui propose Beryn sans même hésiter. Ry, tu peux les rendre pour nous ? On se rejoint devant le bâtiment principal.

J'acquiesce avec un sourire qui se voulait sincère. Traîtresses, pensais-je en les regardant partir. J'allais me retrouver seul avec lui, exactement ce que je cherchais à éviter. Lorsque ce fût mon tour, il était penché sur des papiers, les lunettes au bout du nez, un stylo à la main. En me sentant arriver à son niveau, il se redressa de toute sa hauteur et enleva ses lunettes. A première vue, il me fit penser au marbre avec ses expressions d'une neutralité implacable. Mais je m'aperçu rapidement qu'il avait de nouveau cette étrange douceur qui dessinait ses traits. Il me prit des mains les copies et fronça les sourcils.

— Quelle est la vôtre parmi les trois ? me demande-t-il.

Je me gratte le nez et m'approche en venant pointer la mienne. Il sourit et marmonne quelque chose que je ne parviens pas à décrire. Je reste dubitative face à son comportement et me demande si je peux partir sans qu'il ne me retienne.

Puis, soudain, un frisson me traverse, comme un électrochoc, un glaçon qui glisse sur la peau, un souffle qui nous caresse la nuque, des doigts qui nous effleurent. Je m'arrête alors que je m'apprêtais à m'en aller. Pourquoi mon corps réagi ainsi en sa présence ? Pourquoi plus je le vois, plus j'ai l'impression de le connaître ? Pourquoi, j'ai d'un coup si peur d'être loin de lui ? Il me regarde comme si la réponse était là, dans le creux de ma main, dans le fond de ses yeux. Mon cœur se met à frémir, comme une enfant qui vivait son tout premier amour. Je ne bouge plus et les copies n'ont plus l'air de l'intéresser. Il n'y a plus que nous. Dans un espace à la fois si vaste et si restreint. Comme s'il n'y avait plus personne pour nous montrer qu'à part nous, d'autres âmes existent. Je fais un pas en arrière. Scrute son visage, tout en descendant sur ses grandes mains quadrillées de veines, serrées à en faire saigner les chairs. Il me paraît immense, omniprésent dans ma tête à m'en faire perdre la raison.

C'est la troisième fois, la troisième fois que nous nous rencontrons et pourtant, j'ai cette sensation.

Que ça fait des siècles que nos âmes se cherchent.

— Amaryllis ?

Je le vois bouger ses lèvres, l'expression inquiète. Je m'étais figée et devais faire la même tête qu'après avoir vu un fantôme. Ma gorge se noue mais je reprends vite mes esprits et espère reprendre des couleurs. Et là, l'impensable se passe.

Tout va bien ? demande-t-il à l'aide de ses mains.

Il signe.

Vous connaissez la langue des signes ? j'enchaîne rapidement et très surprise.

Pas aussi bien qu'on ne pourrait le croire, signe-t-il un peu maladroitement.

Vous avez des proches malentendants ?

Je me rends compte que ma question est un peu trop personnelle et espère ne pas l'avoir offusqué. A la place, il me répond d'un sourire, bien mélancolique.

Non, quelqu'un que j'aimais me l'a apprise.

𝐋𝐘𝐈𝐍𝐆 𝐅𝐎𝐑 𝐘𝐎𝐔Où les histoires vivent. Découvrez maintenant