Chapitre 13 - Ta souffrance est la mienne

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Amaryllis

J'avais la gorge sèche, bien que je n'avais pas lâché un seul mot. C'était douloureux de revenir mentalement à cette époque où pour moi, tout était flou. Mais j'avais gardé en mémoire le principal, ce qui au final me faisait le plus mal. Je ne voulais pas aborder ce sujet, alors j'ignorais pourquoi il me donnait sans hésiter l'envie de me confier. Il me regardait avec une amertume qui me troublait et ça n'avait pas l'air d'être de la pitié. Ça n'en restait pas moins désagréable en quelque sorte. Parce que je savais que je ne pouvais que me livrer, même si ce n'était qu'un peu. Il ne m'obligeait à rien, il avait juste cette aura qui soulageait mes vieilles souffrances. A ce moment-là, à cet unique instant, j'étais heureuse de ne pas pouvoir entendre et d'avoir mes propres mains comme béquilles pour lui communiquer ce qui a été un jour ma vie. C'est seulement en prenant mon courage comme si c'était la chose la plus nourrissante qui soit, que je commence à lui signer ce qui pour moi à été le début d'une nouvelle épopée.

- Je ne me souviens pas de tout, mes mains tremblaient sans que je puisse les contrôler. Ça me vient parfois, comme des scènes coupées. La seule chose dont je me rappelle réellement, c'est ce qu'on m'a annoncé une fois réveillée à l'hôpital. Apparemment, j'étais enceinte lorsque c'est arrivé. Ils n'ont pas pu le sauver.

Matthew semble perdre un peu de son ardeur, les yeux braqués dans le vide. Il se ressaisit et se tournevers moi.

- Ça a dû être terrifiant.

Étrangement, ses mains tremblaient autant que les miennes. Il était sur le point de signer quelque chose mais à la place, il murmure des mots que je ne parviens pas à lire. Je lui fais un geste de la main sous ses yeux pour qu'il me remarque et lui demander de signer ce qu'il venait de dire. II secoue la tête négativement avant de faire un maigre sourire.

- Ce n'est rien.

Bien au contraire, ça n'avait pas l'air d'être rien. Pourquoi je voyais d'ici la peur qu'il ressent ? Pourquoi ses yeux étaient à un cheveux de s'imbiber de larmes ? Pourquoi sa souffrance semble être devenue la mienne ? Je pouvais presque dire qu'il était rongé de l'intérieur et qu'il s'évertuait à le cacher. Je pensais que de nous deux, je serais celle qui ne parviendrait pas à communiquer. Mais il s'avère qu'il a beaucoup plus de mal que moi. Je ne savais pas qu'un fragment de mon histoire serait à ce point conséquent et émouvant pour lui.

- Qu'en... est-il du père ? signe-t-il tout à coup, le regard fuyant.

- Mes parents m'ont dit qu'il n'avait pas non plus survécu à l'accident. Lorsque le véhicule était sur le point de me percuter, il aurait essayé de me protéger. Je n'ai pas de souvenir de lui. La seule chose que j'ai, c'est l'unique échographie de mon enfant. Dans mon agenda.

- Tu n'as..., dans ses gestes autant que dans le mouvement de ses lèvres, la détresse s'installe. Tu n'as pas de photos de lui ?

- Non, pas une seule.

- Je vois.

Il manipule ses mains de sorte à les tourner, retourner et j'imagine à faire craquer ses articulations. C'était perturbant de voir quelqu'un qui n'était pas concerné pas mon histoire, réagir comme s'il avait était témoin, présent à cette période de ma vie. Mais alors qu'il était un parfait étrange, j'avais l'impression qu'il était de plus en plus familier et qu'on fond de moi, j'étais comme certaine qu'il n'était pas tellement un inconnu. Je me rapproche de lui, jusqu'à ce que ma jambe vienne toucher la sienne. Ses yeux qui jusqu'à présent n'avaient pas quittés le sol, pivotent vers moi. À quoi pense-t-il au juste pour avoir un tel regard ? Le même que celui qui a vu des horreurs, qui a connu ce que tout le monde refuserait de voir et qui, je ne sais par quel moyen, tente de tenir sa barque.

- Matthew, est-ce que par hasard, nous nous connaissions ?

Il est sans surprises grandement étonné par ma question et hésite longuement avant de me répondre. Si n'importe qui aurait trouvé ça étrange et pas franchement spontané, je ne pouvais que me dire, qu'il était perdu. Qu'il ne savait pas ce qu'il était en train d'éprouver et que j'avais émotionnellement brouillé tous ses sens logiques. Nous avions commencé cette discussion avec légèreté et pourtant, nous nous retrouvons chacun, avec une masse énorme sur les épaules.

- Je ne pense pas, non. Pourquoi crois-tu ça ? il essaye une énième sourire, en vain.

- Parce que votre réaction ne me fait pas penser à quelqu'un qui a juste de la compassion pour moi parce qu'elle n'est pas assez proche pour ressentir plus. C'est comme si je me confiais à un être cher, qui serait aussi blessé que moi si je venais à m'effondrer. Le pire, dans tout ça, c'est que je ne perçois même pas un peu de pitié. Ça m'aurait aidé à démêler ce sentiment d'incompréhension.

Je me rends compte que je m'emballe et que je signe trop vite pour qu'il puisse me suivre correctement. Il me fait bien comprendre qu'il n'a pas tout compris au vu de sa tête et de ses sourcils arqués.

- J'essaye simplement de dire, qu'au vu de nos liens actuels, votre attitude ne s'harmonise pas.

- Mon attitude ? dit-il alors que j'arrive heureusement à distingue l'inclination de ses lèvres.

- Oui, auriez-vous connu un contexte similaire ?

- Non, je suis navré. C'est juste, que ça m'a saisi. Je n'ai pas pu m'empêcher de me mettre à ta place et de songer à quel point il a dû être douloureux de perdre des âmes dont on ne se souvient même plus.

Doucement, il prend mon poignet et pose ma propre main au niveau de mon cœur.

- Là, on t'a arraché quelque chose.

Il lâche mon bras, presque à regret.

- Et ce déchirement, en quelque sorte, j'ai pu le concevoir.

Enfin, il se lève, complètement différent de ce qu'il était il n'y a même pas une quinzaine de minutes. Il regarde au loin, les veines dans son cou gonflent et se font plus nombreuses. Je vois le coins de ses yeux rougir et il continue sans cesse de se mordiller la lèvre du bas. Une fois encore, il se met à parler et je n'arrive pas à savoir ce qu'il peut bien dire. Je n'ose pas lui demander, il ne me le traduirait sûrement pas. Me voit-il différemment maintenant qu'il connaît cette partie de ma vie ? Au moment où je tend la main pour saisir sa manche, il glisse ses bras dans les grandes poches de sa veste. Avait-il vu mon geste ? Il se tourne enfin, avec une expression qui me désappointe.

- Je dois y aller. J'ai des affaires à régler.

Sûr ce, il part sans même se retourner.

De retour chez moi, mon cerveau bouillonne et un tas de questions fusent. Qu'est-ce que j'ai bien pu signer ou manquer pour qu'il soit à ce point différent et si concerné ?

En rentrant dans la cuisine, ma mère était en train de cuisiner, mon père pas bien loin en train de l'aider. Ils m'entendent arriver et m'accueille chaleureusement comme à leur habitude. A cet instant, je meurs d'envie de retourner il y a trois ans en arrière et de leurs reposer toutes les questions que j'ai bien pu demander ? Mais je savais néanmoins que les réponses seraient les mêmes. En fait, ils feraient tout pour répondre à côté de mes interrogations. Comme s'ils avaient des choses à me cacher.

Et d'un coup, le doute s'ancre profondément en moi.

𝐋𝐘𝐈𝐍𝐆 𝐅𝐎𝐑 𝐘𝐎𝐔Où les histoires vivent. Découvrez maintenant