Chapitre 7 - Je serai ton ombre

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— 26 Février 2023 —

Matthew

Elle était assise dans le vaste jardin qui s'étendait dans la cour de l'établissement. Je voyais d'ici — la salle des enseignants — son nez qui rougissait avec ce froid poignant. Elle tenait dans ses mains un livre, qui avait l'air de tant l'intéresser qu'elle en oubliait ce qui l'entourait. Ce monde et ces gens, si sombres à côté d'elle et des halos de lumières qui la faisait briller. De temps à autres, elle coinçait une mèche de cheveux derrière son oreille à chaque fois qu'elle la gênait. Elle ne remarquait même pas les étudiants qui passaient et qui l'observait parfois d'un œil curieux, parfois d'un œil envieux. Je mourrais d'envie de descendre, et de lui demander le titre de son livre alors que la seule chose qui pouvait bien m'intéresser, c'était elle et son histoire. Celle que je n'ai pas connue après avoir posé un point à la fin de notre propre récit. Elle avait l'air heureuse, grandit et bien plus épanouie à cette heure-ci, à la fois bien différente de cette époque et exactement la même que celle qu'avait connu mon cœur. Je recassais douloureusement le passé, me remémorant tout ce qu'on avait partagé, tout ce que j'ai pu lui cacher et tout le mal que je lui ai causé. Je me détourne de la fenêtre et d'elle. C'était atroce de ressentir ce manque, cette envie d'être si près et si loin en même temps.

— Monsieur Shelby ?

Je reviens enfin à moi lorsqu'une voix m'extirpe de mon propre néant. Un homme trapu, à la pilosité crânienne inexistante et au ventre à bière. Il portait des lunettes si petites que je me demandais s'il voyait vraiment.

— Monsieur Hanks. Vous disiez ?

— Des étudiants vous attendent devant la salle. Ils ont des questions pour vous apparemment.

— Je vois, merci.

Je souris, en me disant que je n'avais jamais pris à ce point mon rôle au sérieux, que depuis le jour où je prétends être enseignant. Je m'arme de toute ma patience et de tout le savoir que je possède pour que mon jeu d'acteur fasse l'unanimité.

Le soleil était descendu de scène pour laisser à la lune la possibilité de faire son entrée en douceur. C'est au compte goutte que les étoiles commençaient à apparaître dans le ciel et elles sont beaucoup moins lumineuses qu'en campagne. Ici, il y avait une abandonce de lumière qui rendait bizarrement la ville aveuglante. Elle nous empêchait de voir la vraie beauté de son monde et tout ce qu'il nous réservait. De mon siège conducteur, je regardais avec lassitude le paysage défiler. Il était ennuyeux de voir chaque jour, chaque minute de chaque heure, la même chose. Il n'y avait qu'un facteur qui rendait ma routine moins déplaisante.

Mon soleil.

Amaryllis.

Comme si le destin voulait qu'on se revoit, il nous a fait se rencontrer lorsque j'avais enfin, du moins presque, réussi à tourner la page. Ça arrive lorsqu'on s'y attend le moins. Maintenant, j'y crois. C'était complètement insensé de penser que j'avais absolument besoin d'elle. D'elle et de son cœur pour pouvoir respirer.

— Tu ne la mérites pas..., je chuchote en conduisant vers le centre ville.

C'était l'heure de pointe. Tout le monde sortait du boulot et tout le monde, pouvait enfin reprendre son souffle. Certains se contentaient de se balader, d'autres de dîner entre amis, en famille, avec la personne aimée. Des groupes de jeunes, vagabondaient et s'amusaient avec une telle insouciance que j'en venais à être jaloux. Je ne me souvenais pas avoir eu la même jeunesse. C'est à vingt-et-huit ans, que je me rends compte que ma barque a toujours voguée seule. Rare sont les amis que j'ai pu avoir et mythique, la famille que j'ai rêvé un jour d'avoir.

Puis, comme un miracle qu'on attend pas, je la vois marcher seule, le long d'un trottoir. Ma poitrine se serre et j'ai l'impression qu'on cherche à me faire du mal. Je m'arrête à un feu rouge, presque à son niveau. Elle s'avance en venant vers moi mais ne tarde pas à me dépasser. Je rêve de tout lâcher, de sortir de cette voiture et de lui crier de se souvenir. Mais je savais que ces mots de l'atteindraient pas. Alors que j'étais sur le point de me faire une raison et de démarrer au vert, un détail me frappe. Son expression grave et son lourd regard n'a rien d'habituel. Je remarque, qu'un filet rouge descend de sa tempe jusqu'à la pointe de son menton. Mon sang ne fait qu'un tour.

Je m'empresse de redémarrer et de me garer au prochain tournant, sur des bandes blanches. Je sors rapidement de la voiture et cherche à tout prix à la rattraper. De loin, je vois que je ne suis pas le seul à vouloir la suivre. Une silhouette noire, capuche sur la tête et masque sur le nez est sur ses pas. La peur s'empare de mon être et je pense sans réfléchir qu'il s'agit de moi. Que c'est encore à cause de moi qu'elle se retrouve en danger. Mais je redeviens vite lucide, sachant qu'il ne devait y avoir aucun lien.

Amaryllis tourne dans une rue et je me précipite d'intercepter celui qui semble continuer à la suivre. J'attends qu'il pénètre dans la petite ruelle pour le retenir. Je l'agrippe à l'avant bras et le plaque violement contre le mur en béton. Il se débat, tout étant pas de taille pour me faire lâcher. Je vois dans ses yeux que je l'ai arrêté avant qu'il n'ai pu finir ce qu'il avait en tête. Mes veines se gonflent de colère, je n'ose imaginer ce qui aurait pu lui arriver si je ne l'avais pas croisée.

— Je te conseille de ne pas aller plus loin. Ne l'approche pas, sinon, je jure que je t'arracherai les yeux d'une main.

Ce qui se trouve être un jeune homme, ri de malice.

— Vous vous mêlez de ce qu'il ne vous regarde pas.

— Bien au contraire. Je crois n'avoir jamais été aussi concerné.

En un éclair, mon poing s'abat sur son visage et le fait s'écrouler à terre. De toute ma hauteur, je m'avance jusqu'à le faire reculer d'avantage contre le mur. Pas le moindre effroi l'anime, il est au comble de l'amusement. Je viens le choper par le col en m'abaissant et fait le choix de ne pas enlever son masque.

— Que je ne te vois plus dans le coin. Il y aura toujours un œil aux aguets.

Je le lâche et le laisse derrière sans me retourner. Je devais rattraper Amaryllis. Il ne me fallu que quelques minutes pour la retrouver, allant à l'opposé du centre ville. Elle s'éloignait de plus en plus, dans un coin reculé de la métropole. Je fis en sorte de rester à quelques pas seulement derrière elle, m'assurant qu'elle rentre en toute sécurité à son domicile. Même de dos, je la voyais trembler et je m'en voulais de ne pas pouvoir la réconforter, d'être à ses côtés. Je n'en avais pas le droit. Et parce que je n'avais pas d'autres solutions que de rester à bonne distance, je serai ton ombre.

𝐋𝐘𝐈𝐍𝐆 𝐅𝐎𝐑 𝐘𝐎𝐔Où les histoires vivent. Découvrez maintenant