Chapitre 8 - Fièvre

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- 3 Mars 2023 -

Amaryllis

Le calme, le silence, c'est tout ce que j'ai connu. La quiétude de mon être mais une véritable tempête dans ma tête. Je pense et radote sans cesse, le menton posé dans le creux de ma main, mon attention tournée vers la neige qui tombait comme un rideau à l'extérieur. Je n'écoutais plus le cours de M. Shelby et trouvait apaisant de voir défiler cette pluie blanche. L'amphithéâtre était chauffée mais je ne m'étais pas débarrassée de mon manteau pour autant. Je frissonnais rien qu'en m'imaginant toucher cette neige qui scintillait au contact des quelques rayons du soleil qui parvenait à pénétrer les nuages. Londres était en quelque sorte plongée dans une sorte de bulle hivernale qui ne parvenait pas à éclater. Je ne voyais pas le bout de cette saison glaciale et pourtant, je la voyais comme une tendre amie. Celle qui nous faisait passer des moments chaleureux malgré le froid persistant.

Dans mes songes, je sens qu'on me touche délicatement l'autre main. Je me tourne vers Oria qui semble toujours aussi inquiète que le soir où l'on m'a agressée. Elle a ce sourire crispé qui tente de montrer le contraire, je fais mine de ne rien voir.

- Tu as froid ? me demande-t-elle en signant.

- Non, pourquoi ?

- Tu n'as pas enlevé ta veste de l'heure. Tu es un peu rouge.

Je viens par réflexe poser mes mains sur mes joues. Je ne sais pas si mon corps est braise ou glace, ça ne fait que changer à mesure où j'essaye de tempérer. Ne souhaitant pas plus l'inquiéter, j'essaye de la convaincre que tout va bien mais ni elle, ni Beryn à l'air de me croire. Je sais que ce n'est pas leur intention, toutefois leur inquiétude pèse sur mes épaules, comme un boulet qu'on trainerait derrière soi. Mon handicap passait encore, et il n'a fallu que d'une soirée pour affoler tout le monde. Il n'y a pas un jour où l'on me demande si je vais bien ou si j'ai besoin d'aide. Si je ne voudrais pas me reposer au lieu de persister à suivre les cours en présentiel. A croire que je suis gravement malade et pas - juste - malentendante.

Et le pire dans tout ça. C'est M. Shelby et son regard persistant. Je me demande même s'ils n'ont pas fini par se donner le mot. A chaque fin de cours, il me jauge d'une façon que je ne sais plus interpréter. C'était déstabilisant, et aucun d'eux ne le voyaient.

Je vois aux élèves qui se lèvent simultanément que la session est terminée. J'attends que la vague s'apaise pour ranger à mon tour et partir à mon aise. Mes amies m'attendent en bas de la salle et glisse quelques paroles à notre professeur. Je suis trop loin pour savoir de quoi il s'agit. Mais j'ai bien une idée. Je descend les marches, quelque peu frustrée et le pas peu assuré. Des étoiles apparaissent par battement, je ferme fortement les paupières à plusieurs reprises avant de pouvoir reprendre mon chemin. Oria et Beryn me rejoignent à l'entrée de la salle, cachant définitivement un certain détail.

- Allons manger ! s'exclame Oria avec beaucoup d'énergie.

En me retournant, M. Shelby me regarde. Une explosion dans ma poitrine. Des aiguilles dans la gorge, des fourmillement dans les mains, mon corps réagit de manière excessive. Un flash me parcoure et me fait vaciller.

Pourquoi m'est-il si singulier à cet instant précis ?

J'attendais, emmitouflée sous mes couches de vêtements, l'arrivée de mon bus. Les journées commençaient à se ralonger mais on était encore loin d'avoir le soleil en soirée. J'avais eu la mauvaise idée de mettre des Converses ce matin et mes orteils étaient sûrement à cette heure-ci complètement compactés et congelés. Il étaient douloureux et j'avais hâte de pouvoir me réchauffer dans un bain bien chaud. Les gens passaient le temps en écouter de la musique, des sons dont je n'avais même pas idée. Des tonalités, des sonorités, des piques dans le cœur que je ne connaîtrai sûrement jamais. Je m'étais toujours demandé ce qui pouvait bien les faire tant vibrer, ce qui les poussaient à rire, pleurer, danser et s'extérioriser aussi joyeusement. Pourquoi moi ? Pourquoi je ne pouvais pas avoir cette chance ? La seule chose que je pouvais entendre, c'était la voix dans ma tête. Et je pensais maintenant bien la connaître.

𝐋𝐘𝐈𝐍𝐆 𝐅𝐎𝐑 𝐘𝐎𝐔Où les histoires vivent. Découvrez maintenant