Chapitre 2 (2) - Sira

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Le salon était bondé. 

C'était à croire que tout le quartier s'était réuni pour fêter les vingt ans de mariage d'Eric et Nicole.

—Je suis si heureux de vous voir parmi nous! C'est si rare!

Eric Virapin, notre voisin et hôte pour la soirée, nous salua avec toute la joie dont il était capable. Ses cheveux d'un noir profond tenaient en une queue de cheval lisse. Il faisait partie des quelques rares personnes dont j'avais fait la connaissance ces dix dernières années. D'origine amérindienne, sa famille et lui s'étaient installés à Morne-à-l'Eau – une ville de la Guadeloupe – depuis cinq ans. Leur chaleur et leur hospitalité m'avaient toujours émue, mais, ce soir, elles m'offraient un véritable bol d'air. Nicole me serra chaleureusement les mains, élégamment vêtue d'une robe bustier bleu roi.

—Comment vas-tu Roxane ? Ça fait un petit bout de temps que je ne t'ai pas vue, s'enquit-elle en m'attirant vers le buffet. Ta santé fragile t'empêche toujours de sortir ?

—Les jours ne sont pas faciles.

Au sein de ma famille, j'étais Sira Kéita Traoré. A l'extérieur, je revêtais le masque de Roxane Corani, la fragile Roxane dont la santé menaçait de flancher à tout instant. Un beau prétexte pour justifier mon inexistence dans la société. Je n'aimais pas cette vie. Le mensonge m'horripilait. Et pourtant, c'était peut-être lui qui me maintenait en vie jusque là.

—Tu as beaucoup manqué à Mike. Il part très bientôt faire ses études à Montpellier, tu sais.

Au même instant, un jeune homme me fit un signe de la main depuis le canapé du salon. Plusieurs autres jeunes adultes discutaient avec lui, des flûtes de champagnes à la main. Je lui répondis d'un sourire. Mike Virapin, petit pour ses dix-neuf ans, dont les cheveux noir touchaient presque les fesses. Par moment, il m'arrivais de jalouser sa longue chevelure, bien que la mienne n'avait rien à lui envier. Je faisais de mes cheveux afro mi-longs une fierté. Simplement, les siens restaient sublimes.

—Que va-t-il faire comme étude ? Questionnai-je en attrapant un acra dans une serviette en papier.

—L'architecture. Il a trouvé une bonne école là-bas et il a passé les concours d'entrée avec brio. Je suis si fière de lui !

Je mordis dans la pâte fourrée à la morue et savourai les arômes salés. Bien vite, six acras arrivèrent dans mon estomac.

—C'est une bonne chose qu'il puisse partir. Moi, je n'ai pas cette chance, murmurai-je.

Nicole me dévisagea attristée.

—Tu pourras toi aussi partir un jour, ma petite Roxane. Ne laisse pas la maladie réduire tes rêves à néant.

Elle attrapa mon menton et me sourit tendrement.

—Tu es pleine de ressources, j'en suis certaine.

Les larmes me montèrent aux yeux sans que je ne comprenne pourquoi. Enfin...Je le savais très bien. Elle me rappelait ma mère. Son sourire à elle était plus grand, ses mains plus rugueuse et sa teinte plus sombre. Pourtant, je voyais Nandi Traoré en Nicole Virapin. Si seulement, elle pouvait être elle. Si seulement, c'était ses doigts qui me touchaient.

—Ça ne va pas ? S'inquiéta Nicole.

Je bâtis des paupières et me dégageai en douceur. Du revers de la main, mes larmes avaient disparues. Comme si elles n'avaient jamais existé.

—Merci pour vos paroles. Je souhaite la réussite à Mike et surtout du bonheur.

Je tournai les talons et allai m'installer sur une chaise loin des regard. Au passage, j'attrapai un verre de planteur à la goyave. L'effluve du rhum, camouflé par l'odeur de mon fruit préféré, ne m'empêcha pas de le vider d'un trait. Aussitôt, l'alcool me monta au nez et brûla mon œsophage.

Laamateeri T1 - L'exiléeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant