Courage, fuyons !

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Rouge sang. C'était la couleur du punch dans son verre. Mais Denki n'avait pas vraiment envie de s'emballer sur cet effort pour être dans le thème. Pourtant, tout était réussi et son cousin pouvait se targuer, une fois de plus, d'avoir atteint l'un de ses nombreux objectifs du mois d'octobre. « Plus qu'à choper une nana ce soir », avait-il scandé en descendant dans le salon. Et il semblait plutôt bien parti, à en juger par les gloussements que produisait sa victime du jour. Une définition parfaitement dans le thème, alors que son cousin souriait de toutes ses fausses canines pointues, dans un costume noir à la longue cape.

Cela lui allait bien, Denki était forcé de le constater, coincé dans sa jalousie toute relative et strictement à sens unique. Son cousin, aussi blond que lui, était d'une beauté délicate, savamment entretenu par un discret maquillage au bord des yeux. Son air charmeur, il avait appris à en jouer. Ses bonnes notes, et son attitude d'élève modèle faisaient le reste.

Tout l'inverse de Denki qui vivait avec les vestiges d'une coloration ratée au beau milieu de ses mèches dorées : un trait noir disgracieux qui zigzaguait tel un éclair, quand on n'avait pas simplement l'impression qu'il s'était pris une projection de peinture venue d'on ne sait où. Denki ne se trouvait pas non plus affreux avec sa silhouette effilée et son visage anguleux. Ses lentilles rouges, choisies pour l'occasion, cachaient à merveille le brun terne de ses pupilles ; et ses cheveux légèrement emmêlés étaient assortis de deux petites cornes opaques.

Pourtant, tout démon costumé qu'il était, Denki n'avait pas le cœur à la fête.

Aujourd'hui, plus encore que les autres jours, il ressassait.

Il faut dire que son existence tout entière était, à son sens, une gigantesque blague. Sa vie était pourtant gaie au départ. Ses parents, de joyeux lurons comme lui, étaient des gens adorables. Ils l'ennuyaient régulièrement avec des histoires de bonne note ou de vêtements sales à laver, mais Denki aimait cette existence. Mais cela n'avait pas duré et sa famille l'avait gentiment abandonné après un accident de la route.

C'est fou tout de même. Le matin même, sa mère lui avait préparé ses tartines, son père lui avait ébouriffé les cheveux, et Denki avait râlé, réfléchissant encore à la meilleure façon de les convaincre pour aller voir ses amis ce week-end. Et le soir, la maison était noire et silencieuse. Aussi vide que l'était l'empathie du policier venu lui annoncer le plus simplement du monde qu'il était devenu orphelin. Comme ça, entre le grille-pain et le frigo.

Du haut de ses 14 ans, Denki avait non seulement dû faire le deuil de ses parents, mais découvrir une tout autre vie auprès de son oncle et sa tante. Ses anciens amis avaient disparu lorsqu'il s'était retrouvé dans l'école privée du quartier ; et ses vêtements avaient été jetés pour quelque chose de plus « agréable » à porter.

Sa famille de substitution n'était pourtant pas mauvaise en un sens. Ses « parents » étaient adorables, justes, absents. Et son cousin, ravi de s'être trouvé un nouveau compagnon de jeu, l'avait traîné un peu partout avec lui, comme on le fait avec son jouet le plus récent. Il s'était lassé bien vite cependant, et Denki, de nouveau solitaire et endeuillé, avait vécu la fin de son collègue dans une presque tranquillité.

Ce n'était pas forcément facile d'affronter la moue réprobatrice de ses non-géniteurs lorsqu'il devait annoncer que cette année encore, il était dans la fourchette basse de sa classe. Ou bien, quand il se montrait fantastiquement mauvais dans toutes les activités proposées par sa nouvelle famille. Solfège, équitation, escrime, rien n'y faisait, Denki avait deux mains gauches, et la patience d'une gerbille sous l'emprise de sucre.

Mais la vie restait correcte.

Et puis au lycée, il y avait eu la croissance, les hormones, et l'amour...

Les oreilles en plastique [KiriDenkiDeku]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant