J'ai l'impression qu'on ne saisit pas la gravité de la mort. La mort n'est pas une pause ou un voyage. Une absence ou des vacances. C'est une disparition. Awni, Hala, Habiba ne reviendront jamais. Iels ont disparu·e·s. Awni ne verra jamais qu'il a atteint son objectif. Hala ne verra jamais des images d'elle chantant devant un grand public. Habiba ne dessinera plus jamais.
Je parle des enfants, mais qu'en est-il des adultes ? Des hommes qui rêvaient de voyager, qui avaient prévu de grands événements ? Comme Mohammed Sami, un artiste gazaoui qui voulait ouvrir une galerie d'art dans la ville ? De femmes qui allaient se marier, comme Areej, une dentiste qui voulait ouvrir son propre cabinet, d'artistes et écrivaines comme Heba Abu Nada ?
Je pense aussi à Sama et Liyan, qui filmait une vidéo innocente avec leur petit frère en 2018, imitant certainement leurs youtubeur·se·s favoris, avant d'être surpris par des bombardements très, trop proches de là où ils vivent. Je me souviens de leur peur. Je ne sais même pas ce qu'iels sont devenus. Sont-iels encore parmi nous ?
Quand j'ai marché dans les allées du magasin, à observer les gens vivre leur journée comme s'il ne s'agissait pas de la dernière, je faisais que de penser à ces images de vidéo surveillance montrant un magasin gazaoui être bombardé par l'État israélien. À ces personnes terrifiées, cherchant à courir vers un endroit sûr mais tellement lointain... Quand je suis passée devant cette école et que j'entendais les enfants courir et jouer, j'ai pensé à ce petit garçon au visage mutilé et aux jambes arrachées, qui a subi une douleur inouïe avant de mourir. À cette image d'enfants dans la cour d'une école onusienne effrayés, regardant en l'air en entendant un avion passer. D'ailleurs, certains de ces enfants sont morts.
J'ai pensé à ces bébés subissant une crise d'angoisse, à cette petite fille rendue orpheline pleurant et demandant sa mère. Je vois des familles pique-niquer, et je repense aux familles palestiniennes exterminées par les bombardements israéliens. Des forêts d'arbres généalogiques réduites en cendres, tel un champ d'oliviers ou d'orangers.
À chaque fois que je vois ces vidéos de bombardements, je réalise qu'à chaque fois qu'un missile frappe le sol, des personnes sont expulsées à une vitesse terrifiante dans un trou noir. Ces personnes avaient des choses à raconter, des rêves, des familles et des ami(e)s. Des pensées et des idées. Et tout ça a été détruit.
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Mon rêve était d'être journaliste.
Non-FictionMes lunettes se sont brisées, depuis le monde s'est assombri.