Tout connaît un Changement

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Avertissement : mention légère de corps brûlés (pour bien commencer)

...oOo...

  Le ciel était bleu.

  Les prairies étaient recouvertes de givre. Quelques herbes séchées par le froid se battaient en duel dans le vent.

  Tout semblait normal, pourtant, derrière les portes fortifiées de la ville principale, le jour était au deuil.

  Accrochés aux fenêtres closes, flottant dans le vent, des draps noirs ornaient les habitats, et assombrissaient les rues.

  En cette matinée encore légèrement obscurcie par quelque nuages nuancés de gris démoralisant, les lumières de la ville étaient éteintes. Les quartiers étaient déserts, désolés, délaissés.

  Où étaient passés les villageois et les paysans ? Les marchands installant leurs charrettes de bon matin ? Où étaient les effluves alléchantes du pain à peine sorti du four ? De la chaleur du fer battu au fracas réveillant les habitants ?

  Tous étaient resserrés autour de la place principale, drapés de voiles noirs, le visage tourné vers le sol.

  La peste s'était - enfin, en allée. Mais à quel prix ?

  Chanceuses étaient les familles qui n'avaient pas le malheur de pleurer une perte au moins, mais, pire encore était l'état de leur plus jeune prince.

  La peste - cette stupide peste, cette maladie du diable, avait emporté avec elle dans un souffle maudit les âmes du couple royal, de la jeune princesse, et du prince héritier. Seul avait survécu le plus jeune fils de cette famille, privé d'un amour maternel en cet hiver particulièrement froid, Aether.

  Celui-ci faisait face à l'énorme bûcher qui se tenait au centre de la vaste place, ses longs cheveux dorés tombant en cascade sur son visage juvénile, aux grands yeux aux contours rougis et enflés par les larmes et le froid qui lui tailladait les joues tel des lames aiguisées.

  Il serrait fortement dans sa main la torche flambante qui allait allumer le feu qui consumerait les corps meurtris et transformés par la maladie de sa si précieuse famille, qui allait leur permettre de reposer en paix - et ce, à tout jamais.

  Les yeux vides assombris par le chagrin, il se mit à marcher, le pas vacillant, hésitant. Retenant ses larmes, il garda la tête obstinément baissée vers le sol. Il ne regarda jamais devant lui, même quand vint le moment de prier pour le repos éternel de ses parents, de son frère, de sa sœur.

  Rendez-les moi...

  Là où il passait, les murmures du peuple - de son peuple, se faisaient entendre.

"Il n'a que onze ans...

- Il est le seul survivant... Quel gâchis qu'ils n'aient pas tous survécus.

- Serait-ce un élu des cieux ?"

  Le prince serra les dents lorsqu'il s'inclina en avant, retenant un sanglot.

  Il abaissa sa torche au pied du monceau de bois et d'herbes sèches en fermant les yeux.

  La seule chose qui lui indiqua que le bûcher avait pris feu fut le craquement du bois, l'odeur de l'herbe qui brûlait, et la soudaine chaleur qui lui arracha un frisson.

  Il ne devait pas pleurer.

  Ils comptaient sur lui.

  Il était leur nouveau roi.

  Et un roi ne doit pas pleurer.

  Il ne pleura pas. Même lorsque des éclats incandescents lui brûlèrent le visage, même lorsque l'odeur de chaire calcinée parvint à ses narines. Il resta stoïque, et ne fit aucun bruit.

Conte d'HiverOù les histoires vivent. Découvrez maintenant