Les Fixies

Chapitre 2:

Clignant plusieurs fois des paupières, Anna leva lentement les yeux vers sa nouvelle interlocutrice : Une femme en tailleur noir avec de fines rayures oranges, arborant sous son veston une chemise blanche impeccable, ornée au col d'un nœud papillon noir rappelant vaguement la forme d'une toile d'araignée. Elle portait un chignon brun serré au-dessus de sa tête, et des lunettes triangulaires sur un nez tellement fin que la jeune fille se demanda un instant si c'était la raison pour laquelle sa voix lui avait paru pincée.

Anna ne s'arrêta cependant pas bien longtemps ni sur ce nez ni sur sa propriétaire, car maintenant que la poussière soulevée par le carrosse était retombée elle put constater devant quoi cette dernière se trouvait.

La jeune fille ne put retenir une exclamation étouffée, alors que son regard se levait sur le château le plus monumental qui lui avait jamais été donné de voir.

Elle en avait pourtant visité des tas avec ses parents, et pouvait même assurer avec certitude que ce château était plus grand que celui du Comte Dracula en personne (non pas que ses parents lui aient laissé regarder le film, mais elle était tombée sur un reportage télévisé racontant l'histoire du célèbre château roumain).

Tout en pointes, aux pierres plus noires que du charbon, à l'aspect à la fois imposant, intimidant, et terriblement attirant, se trouvait ici l'école d'Halloween.

Alors qu'Anna regardait l'établissement, bouche bée, sans cligner des yeux comme pour mieux l'imprimer sur sa rétine, un raclement de gorge agacé la fit sursauter, et la jeune fille se souvint avec une certaine gêne qu'elle n'était pas seule.

La femme en tailleur la fusillait désormais du regard, ses yeux agrandis par les verres de ses lunettes alternant entre l'énorme valise de la jeune fille et elle.

Anna, rosissant, se saisit de sa valise et la souleva tant bien que mal, puis dut courir à la suite de la femme qui, aussitôt qu'elle s'était penchée, avait fait volte-face et s'en était allée sans un regard en arrière en faisant cliqueter ses talons aiguille sur le chemin pavé menant à l'entrée du château.

"Je suis Mlle Plumple", décréta-t-elle d'une voix empressée une fois que Anna eut réussi tant bien que mal à la rattraper. "Principale adjointe de cette école. Vous avez dix minutes de retard sur votre heure prévue d'arrivée, sachez-le. Dans cette école, la ponctualité est une qualité plus qu'appréciée. S'il ne tenait qu'à moi, tout élève n'étant pas en mesure d'assister à la cérémonie de rentrée en même temps que les autres...
-Excusez-moi", haleta Anna, trottinant derrière Mlle Plumple en portant tant bien que mal sa lourde valise, "mais la chauve-souris m'a dit que ma lettre s'était perdue...
-Mademoiselle!", tonna Mlle Plumple de sa voix nasillarde. "On dit: 'Excusez-moi mademoiselle"! Ponctualité et bienséance, miss Têtangré...
-En réalité... mademoiselle", ajouta précipitamment Anna, "mon nom de famille n'est pas Têtangré, bien que je suppose que mon ancêtre...
-Vous n'êtes pas ici pour supposer, vous êtes ici pour apprendre, et vous avez déjà deux semaines et dix minutes de retard!", l'interrompit Mlle Plumple. "Je vous prierai de ne pas perdre une minute de plus en questions inutiles, miss Têtangré!".

Comprenant qu'il était inutile de poursuivre cette conversation (ou toute autre avec Mlle Plumple, c'était certain), Anna ravala les paroles peu aimables qui lui brûlaient les lèvres et préféra se concentrer sur l'architecture du château, dont elles venaient de passer les portes.

Le hall d'entrée était impressionnant, avec ses murs noirs et les tentures bordeaux qui le décoraient. En face de l'imposante porte d'entrée, deux escaliers en arc de cercle, qui partaient du rez-de-chaussée et se rejoignaient à l'étage supérieur, était tapissé d'un chemin de sol de la même couleur que les tentures, et dont l'éclat ne semblait nullement terni par les centaines de pieds qui le foulaient tous les jours.